Dans ce troisième et dernier volet de son exposé à Villemétrie en 1958, Paul Ricœur, après avoir défini dans les deux premiers volets ce qu’on punit et qui punit, s’attaque à la peine elle-même et à ce que la sécularisation du droit pénal en a fait. Il souligne combien la « théologie de la colère »reste présente dans la tendance qu’a la justice ou la population à vouloir faire expier le coupable. Or, pour Ricœur, s’il y a peut-être expiation, il faut surtout amendement car « le christianisme, c’est la religion de l’amendement » et que « la seule chose que puisse faire le tribunal des hommes, c’est d’aider l’homme à reprendre sa place dans la société ».

3. La dédivinisation de la peine

C’est là que la vieille théologie de la colère et de la vengeance se réfugie, celle que la foule professe à son insu lorsqu’elle réclame des têtes. La vieille religion a été chassée de la définition du crime et même de l’autorité du tribunal mais elle se réfugie dans la peine. La vieille religion féroce qui veut payer la mort d’Iphigénie par celle d’Agamemnon, son père, puis celle d’Agamemnon par celle de Clytemnestre, épouse adultère, puis celle de Clytemnestre la mère par celle d’Oreste le fils jusqu’à ce que, ô miracle, l’Érinye vengeresse se mue en Euménide, c’est-à-dire en bienveillance. Ce qui est étonnant, c’est que l’Érinye vengeresse devient Euménide, quand Athéna fonde un tribunal humain, l’Aréopage. C’est ainsi que finit L’Orestie d’Eschyle (1) : enfin les tribunaux sacrés ne connaîtront plus les affaires de sang mais un tribunal civil, bien laïc, bien humain permettra à Oreste de vivre. Je crois qu’il y a là un symbole admirable : il faut un tribunal laïc pour exprimer que les dieux sont bons. Ainsi, dès la Grèce, la laïcisation du tribunal a été la voix par laquelle une parole de bienveillance, de miséricorde, d’espérance a pu être entendue et comprise par des Grecs.

Et pourtant, la théologie de la colère n’a pas lâché prise : chassée de la démesure de la peine, elle s’est réfugiée dans […]