Par Valérie Rodriguez, équipière-directrice de la Fraternité de Trappes

Vendredi 16 octobre 2020. C’est un soir pas tout à fait comme les autres à la Miss’ Pop de Trappes : nous sommes en effet de sortie (dernier soir avant le couvre-feu !) avec quelques jeunes de la Frat pour aller voir une pièce de théâtre sur le thème de la lutte contre la radicalisation… ça s’appelle Désaxé. Nous ne savions pas encore alors que cette sortie serait d’une « brûlante » actualité. Nous apprenons, dans le bus qui nous emmène au théâtre, l’assassinat de Samuel Paty. Nous sommes atterrés, sidérés, mais il nous faut parler avec les jeunes et ce dès le lundi suivant puisque nous les accueillons toute la semaine pour des ateliers citoyens et du soutien scolaire (vacances scolaires obligent…).

Des consignes

Nous constatons un phénomène un peu nouveau : au moment des attentats de 2015 et 2016, les minutes de silence avaient été bien « chahutées »… C’est beaucoup moins le cas en 2020, les jeunes, hélas, ont appris à se taire et nous savons que dans beaucoup de familles les parents ont donné des consignes à leurs enfants pour que tout se passe de façon lisse. Le travail de « sape » est plus souterrain et donc plus dangereux. Nous avions d’ailleurs reçu, la veille, la vidéo de ce père appelant à la révocation de Samuel Paty, vidéo envoyée par l’une de nos mamans (à tout son réseau WathsApp en oubliant peut-être que nous en faisions partie ou sans se rendre compte que cela pouvait nous choquer, nous poser problème). Pour la première fois peut-être, les mots nous manquent, du moins les « bons » mots, ceux qui pourraient vraiment porter. Nous ne pouvons que dire ce que nous ressentons : de la peur, du désarroi, de l’incompréhension, de la sidération tout simplement.

Écouter les blessures

C’est ce que j’explique un soir à l’une des mamans du soutien scolaire, je lui dis que j’ai peur parce que c’est juste impensable… Une décapitation en France en 2020, c’est impensable et ça fait peur. Je sens qu’elle est touchée, elle me dit que je ne dois pas avoir peur et que ça lui fait de la peine de savoir que j’ai peur. Malgré la Covid, on se prend la main et malgré la peur, on se sourit. Un début de dialogue, les mots parfois ne suffisent pas… Par ailleurs, nous sommes un peu étonnés par la réaction « institutionnelle et républicaine de l’état » qui semble un peu déconnectée de la réalité du terrain. Est-ce en expliquant aux gens qu’ils sont des imbéciles arriérés qui ne comprennent rien à la liberté d’expression que l’on résoudra le problème ? Ou en écoutant au contraire ce qu’ils ont à dire et notamment le fait qu’ils se sentent blessés ou choqués par ces fameuses caricatures ? (Cela n’excuse évidemment pas cette décapitation abominable, nous sommes bien d’accord.) Peut-être faut-il être moins simplistes dans les réponses apportées et aider au dialogue au lieu de s’arc-bouter sur des positions qui ne font qu’accentuer le problème et n’aident pas les associations de terrain à œuvrer dans la concorde et la fraternité.