Après avoir ainsi (voir le premier volet de cet article) brossé à grands traits la situation de la laïcité, je voudrais repartir d’un grand pas en arrière, pour comprendre d’où nous venons, et notamment nous Français, et nous Protestants. Il m’a semblé que Pierre Bayle était un bon rétroviseur de ce passé, dans la mesure où il propose une œuvre où s’opère déjà le nécessaire travail de déconstruction des promesses de ce passé.

Il est peu d’auteurs aussi disputés que Pierre Bayle (1647-1706), et qui ait soulevé, jusque tout récemment, autant de querelles d’interprétation. Ce qui m’intéresse ici, c’est le philosophe politique, témoin d’un moment charnière de la pensée politique moderne. Antony McKenna y voit une «déconstruction philosophique des fondements de la souveraineté politique» (2). Or on va voir que le politique, à son époque (et peut-être à toute époque), ne saurait faire l’économie d’une réflexion sur la religion, et plus généralement sur le nœud du théologico-politique.

La lecture de son œuvre est captivante : il suffit d’ouvrir à n’importe quelle page l’un des gros volumes de son Dictionnaire historique et critique (1697), pour s’en convaincre. Le projet, digne des écuries d’Augias, est de faire seulement un Dictionnaire des erreurs des autres dictionnaires ! C’est ainsi que Bayle se fait l’avocat de tous les malmenés de l’histoire, des moindres penseurs calomniés, des petites sectes persécutées seulement pour avoir des idées farfelues. La mise en scène du corps de l’article (parfois deux lignes seulement) en tête de ces grandes pages très serrées, les minuscules notes marginales recoupant les […]