Ceux que l’on ne voit pas, que l’on ne veut pas voir ou qui ne veulent pas être vus ?

Les invisibles ne représentent pas un groupe social : il serait plus juste de parler de situations d’invisibilité et de processus sociaux, économiques, administratifs, politiques qui tendent à rendre invisible. Mais invisible par qui ? Pourquoi et pour qui devient-on invisible ?

« L’image que chacun a de soi dépend du regard d’autrui(1). » Si l’invisibilité sociale ne peut être réduite à la seule question de l’interaction entre les individus, il semble indiscutable que le rapport à l’autre en constitue le fondement. Ainsi, le manque ou le déni de reconnaissance sont souvent à l’origine de situations d’invisibilité qui ajoutent de la souffrance à la pauvreté, à la précarité et au sentiment d’exclusion de ceux qui sont « en dehors », et pourtant à côté de nous. Devenir invisible aux yeux de l’administration, de ses proches, de la société… Qu’elles soient choisies ou subies, quels sont les profils de ces personnes affectées par ces situations d’invisibilité ?

Pas d’inventaire à la Prévert mais quelques exemples. Invisibilité subie de ces jeunes mineures prostituées pour qui il est souvent trop tard quand leurs situations deviennent visibles ; invisibilité subie par cette femme qui a élu domicile dans sa voiture, avec son chat pour seul compagnon, après avoir été victime d’un engrenage : arrêt maladie, baisse de salaire, difficultés à payer son loyer, surendettement, plus de domicile fixe… « Je n’existe pas aux yeux de la société », dit-elle ; invisibilité subie et « choisie » par celles qui vivent dans la rue, se dissimulant sous leurs vêtements pour ne pas être identifiées car pour elles « quand on vit dans la rue, le plus grand danger, c’est d’être une femme ».

Invisibilité choisie quand elle s’inscrit dans un projet de résistance pour ne pas être marginalisé, tels ces chômeurs qui continuent à donner le change, rendant invisible leur situation précaire. Choix aussi des politiques publiques de rendre visibles certaines personnes, en rendant ainsi d’autres invisibles. Rendre les pauvres invisibles aux yeux d’une partie de la population dans certains quartiers, en les déplaçant, est un choix délibéré. Enfin, que dire des déboutés du droit d’asile, sans existence administrative sur le sol français, qui subissent cette situation d’invisibilité sans que rien ne soit mis en œuvre, perdant petit à petit espoir, dignité et estime de soi.

Arrêtons de mettre les gens dans les cases et d’en exclure une grande partie qui ne se retrouve plus dans aucun dispositif. Soyons vigilants, discernons et accompagnons ces « invisibles » afin qu’ils occupent la place qui est la leur au sein de notre société. Continuons à alerter les pouvoirs publics pour rendre effective la solidarité nationale.

(1) Axel Honneth, philosophe allemand