La question des interdits alimentaires est définie par les textes des trois monothéismes à des degrés divers en fixant pour chacun ce qui est pur et impur et ce qui doit être fait en certaines circonstances. Ces questions relevant des différentes interprétations des textes et du vécu de la foi, par nature individuelle, se sont considérablement invitées dans le débat public, sur le devant de la scène, principalement du fait de la diffusion de la pratique halal. C’est avant tout l’affirmation d’une identité qui est l’objet du débat, car elle aurait pour conséquence de découper le corps social en communautés se reconnaissant, entre autres par les pratiques alimentaires. « Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es ». Or l’interdit religieux n’est pas en soi un critère plus délimitant qu’un autre comme « les sans sucre », les « sans sauce », « les sans viande ». Mais direz-vous, le « sans sucre » est invisible dans l’espace commun alors que le halal engendre des rayons spécifiques ainsi que des magasins, bref une visibilité. De pratique individuelle, il est passé au rang d’espace social. Oui, et le bio et le végan sont également en voie de générer un important réseau commercial et une grande visibilité. Ce sont en partie des espaces identitaires, où l’on se retrouve, où l’on échange.

Poule au pot

Les pratiques alimentaires spécifiques, quelles qu’en soient les motivations, se distinguent aujourd’hui davantage, apanage peut-être d’une société qui tend à fragmenter tout de plus en plus, au moins autant qu’à se structurer en communautés. Le mythe de la poule au pot pour tous du bon roi Henry qui a tenu lieu d’identité alimentaire française dans les livres de classe n’est plus. Faut-il défendre coûte que coûte la grande égalisation républicaine dans nos cantines scolaires au nom du bon roi Henry et d’un espace social scolaire laïc ? Si la recherche de neutralité peut porter sur le code vestimentaire en tant qu’affichage de soi au sein de l’espace commun, le rapport à ce que l’on ingère est d’une tout autre intimité pour que l’on vienne y imposer quelque norme commune que ce soit.

Chercheurs d’intérieur

Avant que d’avoir une éventuelle signification identitaire, le respect de règles alimentaires relève de l’observance, c’est-à-dire d’une motivation de foi dans laquelle nul ne peut interférer ou juger. Voilà le paradoxe, ce que l’on mange ne dit sûrement pas ce que l’on est, mais ce que l’on refuse de manger dit ce que l’on observe comme règle impérative et donc malgré tout un peu ce que l’on est. L’observance crée une identité, au-delà de la seule délimitation d’une communauté de personnes se reconnaissant dans des pratiques partagées. Alors, ne reconnaissons pas à l’observance alimentaire le seul rôle de recherche de la plus grande pureté, ou de la distinction, mais acceptons-la davantage comme une recherche intérieure. Dans l’interdit alimentaire, et plus encore dans le carême et le ramadan, on s’éprouve, on met en œuvre sa volonté. Ce chemin interne est bien évidemment partagé par d’autres et il fait communauté, non pas d’affichage, mais communauté dans un vécu particulier.