Plutôt que nier le mal et tenter d’abolir la loi et la sanction pour imaginer des sociétés utopistes et donc totalitaires, Bernard Piettre propose, dans ce troisième volet conclusif de son intervention lors de la journée sur Le sens de la peine, de prendre en compte la « vulnérabilité » et la « fragilité » de l’être humain, être culturel guidé par ses passions et ses désirs, toujours prêt à transgresser l’interdit. La peine peut alors, quand elle aide «le délinquant ou le criminel à reconquérir sa dignité d’homme », être un moyen, lui aussi fragile, de participer à « cette lutte pour devenir libre ».

3. De la nécessité culturelle de l’interdit, au fondement de la sanction et de la peine.

Notre réflexion sur la peine nous amène inéluctablement à des considérations anthropologiques, et pour le coup éthico-politiques, essentielles – puisque la peine est inséparable d’interdits culturels (à travers des règles ou des lois) déterminant le bien et le mal, le juste et l’injuste, ignorés de l’animal.

Revenons en arrière, au mythe de l’anneau de Gygès. Lisons Platon :

« Supposons maintenant, deux anneaux comme celui-là , mettons l’un au doigt du juste, l’autre au doigt de l’injuste ; selon toute apparence, nous ne trouverons aucun homme d’une trempe assez forte pour rester fidèle à la justice et résister à la tentation de s’emparer du bien d’autrui, alors qu’il pourrait impunément prendre au marché ce qu’il voudrait, entrer dans les maisons pour s’accoupler à qui lui plairait, tuer les uns, briser les fers des autres. (…) L’on pourrait voir là une grande preuve qu’on n’est pas juste de plein gré, mais par nécessité, vu qu’on ne regarde pas la justice comme un bien individuel, puisque partout où l’on pense pouvoir être injuste, on ne s’en fait pas faute. Tous les hommes croient en effet que l’injustice leur est beaucoup plus avantageuse. »

Platon s’attaque en réalité, à travers ce mythe, à des thèses soutenues par des sophistes de son temps selon lesquelles la justice des lois d’une cité est une pure convention, […]