Non, ce n’est pas l’apanage des lettrés. Il s’agit, au contraire, d’un outil ludique de lutte contre l’illettrisme, de découverte de soi ainsi que de valorisation des compétences. A travers ses écrits, le détenu peut s’évader par la parole et par l’écriture. Il n’est pas « que celui qui a fait une bêtise ou erreur dans sa vie », mais aussi et avant tout un être humain.

Durant près de trente ans, j’ai animé un atelier d’écriture à la Maison d’Arrêt de Colmar, une prison pour hommes âgés entre 18 et 70 ans, dont le niveau allait de l’illettrisme à BAC + VI, issus de toutes les couches sociales, sans qualification ou formés à tous les métiers, manuels ou intellectuels, français ou étrangers, primo-délinquants ou multi-récidivistes, incarcérés pour de courtes ou de longues peines. Une maison d’arrêt est en effet un passage obligé avant tout jugement, puis un lieu de détention pour l’exécution de courtes peines.

Cette maison d’arrêt de Colmar, ancien couvent du 14e siècle, est particulièrement vétuste. Outre les cellules, sombres et exigües, existent encore plusieurs dortoirs de six ou huit lits, dans lesquels la promiscuité et les incompatibilités d’humeur sont souvent source de conflits et d’incidents. A son actif, avec la soixantaine de personnel de surveillance et administratif, cette petite maison d’arrêt, d’ un effectif théorique de 120 détenus mais avec une surpopulation structurelle importante, a permis des relations humaines plus importantes que celles des établissements pénitentiaires modernes qui ont vu le jour depuis quelques années. La nouvelle prison de Lutterbach qui a pris la relève de celles de Colmar et de Mulhouse, en juin 2021, semble avoir été conçue pour en tenir compte, notamment grâce à de grands espaces verts, des salles d’activités et de travail, un quartier « de confiance », de larges ouvertures laissant passer la lumière du jour et le soleil, une architecture bien conçue, des couleurs accueillantes, etc.

Comme pour les aumôniers, ce qui prime en Atelier d’Ecriture, c’est la rencontre humaine, l’écoute, l’échange, le partage, l’éthique fondée sur l’amour du prochain. Derrière chacun des parcours brisé, il y a un être humain auquel l’écriture et les échanges peuvent redonner le goût à la vie, la foi ainsi que conscience de la dignité essentielle à leur reconstruction personnelle, sans oublier le regard nouveau porté sur certains actes commis et l’amorce d’un repentir à l’égard des victimes.

Dans ce contexte « privilégié », j’ai animé bénévolement l’atelier d’écriture deux fois par semaine et presque tous les jours durant les vacances scolaires, grâce à la bienveillance du personnel et de la direction et au grand bonheur des détenus qui m’attendaient patiemment.

L’atelier d’écriture est un lieu où l’écrit n’est pas principalement articulé autour de l’orthographe et de la grammaire ou encore de l’application de règles strictes. Ecrire est un acte de création où l’écrivant exprime ses souvenirs, son imaginaire, ses espoirs, son futur, en quelque sorte « ce qu’il a dans ses tripes », sans qu’aucun regard ou commentaire extérieur ne vienne le brider dans sa démarche. Pour les plus fragiles, en difficulté avec la langue et l’écrit, l’oral prend le relai et une main bienveillante (la mienne ou celle d’un co-détenu) sera l’aide précieuse idéale. Cette démarche entraine parfois un déclic pour entreprendre une demande de formation de base qui peut être prodiguée à l’école de la Maison d’Arrêt. Dans tous les établissements carcéraux il y a en effet des unités d’enseignement détachées de l’éducation nationale, mais les détenus en grande difficulté ne veulent le plus souvent pas en bénéficier, car « ils ont la honte » et, comme toutes les activités, leur participation est basée sur le strict volontariat. Pour certains, ce sera le début d’une longue démarche de formation et d’examens ou de concours, pouvant aboutir jusqu’à des formations universitaires et surtout préparer la sortie de détention.

Après l’écriture vient le partage à l’oral, au sein du groupe. Aucun commentaire n’est accepté, sauf pour donner confiance et valoriser son auteur. Ce partage est extrêmement important et structurant, dans la mesure où il n’est pas ressenti comme un oral devant un jury ni une compétition !

Le texte de chacun est saisi par mes soins sur ordinateur et un exemplaire – fautes de français, orthographe et grammaire corrigés – est remis à son auteur. Il pourra ainsi le remettre à un proche lors d’un parloir, s’il le souhaite, ou l’envoyer.

Régulièrement, nous avons fait paraître un recueil avec l’ensemble des écrits des détenus. Tout d’abord dix ouvrages intitulés « Paroles libérées », puis « Derrière les murs des êtres humains », « Devant et derrière les murs … », « Lueurs dans l’ombre », « Murmures derrière les barreaux » et pour terminer, le 15e « Dernier bout de chemin ». * Chaque livre, en soi, fut une belle et longue aventure, mais le plus marquant a été la réalisation de « Lueurs dans l’ombre – Luces en la sombra », réalisé en partenariat avec le Centre Pénitentiaire Miguel Castro Castro à Lima (Pérou) prison destinée à de longues peines pour délits politiques, notamment en lien avec le Sentier Lumineux, avec 1 200 détenus pour la plupart très cultivés, répartis en 10 quartiers indépendants. Cet ouvrage – en français-espagnol – a été préfacé par les ministres de la Justice de France et du Pérou. J’ai eu le bonheur d’aller présenter et apporter notre réalisation commune au Pérou, accueillie par l’Ambassadeur de France, les Ministres de la Justice, les responsables de l’Alliance Française, avec une grande réception organisée par les détenus à l’intérieur même du Centre de Détention où j’ai eu le privilège d’animer un atelier d’écriture en français.

Nous avons gardé des contacts riches et chaleureux avec l’animatrice de cet atelier à Lima qui vient nous rendre visite lors de ses passages en France.

Contrairement au Pérou, en règle générale, je ne suis pas au courant des délits à l’origine de l’incarcération des écrivants. Souvent, cependant, ils ressentent le besoin de me le confier, ou parfois, je le lis sur le journal au moment de leur procès, et c’est la grosse surprise !

L’atelier d’écriture ne s’arrête pas non plus à la porte de la prison. Pour ceux qui le souhaitent, l’accompagnement se poursuit et peut déboucher sur de forts liens d’amitié. Outre une aide active à la réinsertion, recherche de travail et de logement, j’ai tissé des liens depuis plus de 20 ans avec deux anciens qui n’habitent pas dans la région mais avec lesquels j’entretiens des échanges par tél, ou par mails et avec au moins une rencontre annuelle. J’ai des échanges de courriers hebdomadaires avec plusieurs anciens qui ont été transférés dans des Centres de détention et je vais régulièrement en visite à la Maison Centrale d’Ensisheim. Plusieurs anciens détenus m’appellent régulièrement, exposant leurs soucis, mais aussi leurs joies à travers la naissance de leurs enfants, leur promotion professionnelle et surtout leur immense reconnaissance pour les moments partagés.

Trente années en prison, trente années de « vie riche » et que de belles rencontres ! Tout le monde ne peut pas en dire autant. Je pense notamment à tous ceux qui sont de l’autre côté des murs ! Ma reconnaissance n’a pas de limite tant envers les participants à l’atelier d’écriture qui sont plus d’un millier depuis le début de cette extraordinaire aventure, qu’à l’égard de tous ceux que j’ai pu côtoyer et qui m’ont accordé leur confiance et leur soutien.

Non, cela n’arrive pas qu’aux autres et nous ne sommes pas là pour juger. La justice s’en charge. C’est son travail.

Notre travail à nous est simplement de tendre la main, être à l’écoute, un rayon de soleil sur ce chemin ombragé, éclairer d’un sourire le quotidien, permettre à notre prochain de ressentir encore toute sa dignité et son humanité.