Réforme protestante et désillusions

Martin Luther et Dietrich Bonhoeffer, deux figures majeures de cette tradition, se méfiaient des solutions trop faciles et des certitudes institutionnelles à propose de la Réforme. Luther critiquait l’Église pour ses prétentions à la perfection et soulignait la nécessité d’une approche réaliste face aux imperfections humaines. Il mettait en garde contre une confiance aveugle envers les autorités, qu’elles soient religieuses ou séculaires, et prônait une attitude critique et réformatrice.

De plus, il reconnaissait que même ceux qui vivent en relation avec Dieu peuvent traverser des épreuves terribles, comme la perte d’un enfant. Il insistait sur le fait que la foi chrétienne ne promet pas une vie idéale, mais plutôt une vie où l’on doit naviguer parmi les réalités souvent brutales de l’existence. Il prônait un équilibre entre l’annonce de la bonté de Dieu et la reconnaissance des souffrances et des injustices du monde.

L’autorité civile et la violence régulée

Luther voyait dans l’autorité civile une forme de régulation nécessaire du mal. Il acceptait que des mesures sévères soient parfois nécessaires pour maintenir l’ordre, tout en restant critique envers ces mesures. Cette approche pragmatique reconnaît que les solutions idéales sont souvent inaccessibles et qu’il faut parfois choisir le moindre mal. Cette perspective se reflète dans la manière dont il a géré les révoltes paysannes, où il a soutenu l’intervention de la force pour éviter des violences encore plus graves.

Bonhoeffer, quant à lui, a appliqué des principes similaires en choisissant la moindre violence dans des contextes extrêmes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a participé à un complot contre Hitler, malgré les risques élevés et les conséquences potentielles de cette action. Bonhoeffer savait que l’échec du complot pourrait intensifier la répression, mais il considérait qu’il était moralement nécessaire de tenter de freiner le régime nazi.

Éthique, pacifisme et insurrection

La tradition luthéro-réformée est marquée par une oscillation entre pacifisme, régulation de la violence et insurrection. Cette diversité de réponses éthiques reflète la complexité des situations historiques et la nécessité d’une flexibilité morale. Parfois, l’Église a incité à déposer les armes, prônant une approche pacifiste. À d’autres moments, elle a soutenu l’usage de la force pour maintenir l’ordre ou a participé à des insurrections contre des régimes injustes.

L’héritage de Luther et Bonhoeffer montre que les réponses aux questions de paix et de violence ne sont jamais simples. Elles nécessitent un discernement constant et une évaluation critique des circonstances. Ce refus d’une doctrine de paix figée souligne l’importance de trouver des solutions viables dans chaque contexte, en cherchant à minimiser la violence et à promouvoir une société vivable plutôt qu’une société idéalisée.

Entretien issu du colloque  » Paix des Eglises, paix du monde ? » organisé du 9 au 11 mars 2022.
Organisateurs : Institut catholique de Paris, Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge, Institut protestant de théologie, Institut supérieur d’études œcuméniques

Coproduction : Fondation Bersier – Regards protestants / Réforme – reforme.net
Réalisation : Anne-Valérie Gaillard