Le développement rapide de l’intelligence artificielle (IA) est un sujet central pour les entreprises technologiques et au-delà, suscitant un débat qui touche à l’éthique, à la technologie, à l’économie et à l’avenir du travail. Ezekiel Kwetchi Takam, doctorant en éthique théologique à l’Université de Genève, met en lumière cette question en décrivant les visions contradictoires qui alimentent le rythme et l’orientation actuels du développement de l’IA.

Entre « Accélérationnistes » et « Doomers »

Au cœur du débat sur le développement de l’IA se trouvent deux camps opposés : les « Accélérationnistes » et les « Doomers ». Les accélérationnistes plaident pour une avancée rapide des technologies de l’IA, arguant que ces progrès sont essentiels pour résoudre les problèmes les plus urgents de l’humanité. Ils considèrent l’IA dans une optique technosolutionniste, croyant en la capacité de la technologie à fournir des solutions existentielles.

À l’inverse, les « Doomers », s’inquiétant du risque d’un effondrement de la civilisation, préconisent une approche plus mesurée. Ils insistent sur la nécessité de donner la priorité aux considérations éthiques et aux impacts sociétaux potentiels d’un développement incontrôlé de l’IA. Pour eux, l’empressement à exploiter les possibilités de l’IA sans une base éthique robuste conduira inévitablement à des problèmes futurs.

Les implications éthiques et économiques

Ezekiel Kwetchi Takam met en lumière les résultats pratiques de ces philosophies, en soulignant en particulier les sacrifices économiques et écologiques qui sont souvent négligés. Dans la poursuite des progrès de l’IA, de nombreuses personnes, en particulier dans les régions économiquement moins développées, comme au Kenya ou Madagascar, se retrouvent dans des situations d’exploitation. Ces travailleurs sont souvent chargés de la labellisation des données, un processus essentiel mais peu connu dans le domaine de l’apprentissage automatique, pour des salaires bien inférieurs au niveau de vie.

Un impact mondial sur le travail

Un rapport du Fonds monétaire international (FMI), élaboré à l’occasion du Forum économique mondial 2024, à Davos, dresse un tableau sombre de la situation : 40 % des emplois dans le monde pourraient être impactés par l’IA. Ce chiffre stupéfiant souligne la nécessité de mettre en place des politiques qui soutiennent la formation continue et la reconversion professionnelle afin d’aider les travailleurs à s’adapter aux nouveaux rôles que les progrès de l’IA rendront nécessaires.

Surveillance et démocratie

Ezekiel Kwetchi Takam aborde également le côté plus sombre du développement de l’IA, lié à la surveillance de l’État. Des projets tels que l’initiative Skynet de la Chine montrent comment l’IA peut être utilisée pour surveiller et contrôler les populations, ce qui peut conduire à une érosion des normes démocratiques. Ces systèmes s’appuient sur l’IA pour collecter de grandes quantités de données sur les citoyens, en leur attribuant des notes de crédit social qui affectent leur statut social et leurs libertés.

Alors que le débat reste d’actualité, Ezekiel Kwetchi Takam plaide en faveur d’une approche équilibrée qui tienne compte à la fois du potentiel technologique et des dilemmes éthiques de l’IA. Il appelle à démystifier l’IA en tant que panacée pour tous les maux de la société et souligne l’importance d’établir des cadres qui garantissent que le développement de l’IA est transparent, inclusif et responsable.

En fin de compte, si l’IA offre des possibilités de progrès inégalées, elle nécessite également une gestion prudente pour éviter d’exacerber les inégalités sociales ou de compromettre les valeurs démocratiques. L’avenir du développement de l’IA dépendra probablement de notre capacité à relever ces défis complexes, en veillant à ce que la technologie soit au service de l’humanité sans porter atteinte à ses principes fondamentaux.

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Réalisation : Anne-Valérie Gaillard
Intervenant : Ezekiel Kwetchi Takam