Friedrich Nietzsche n’est pas simplement un philosophe. Il est un sismographe de l’époque moderne, un moraliste impitoyable, un prophète du dérèglement. Né en 1844 dans une famille de pasteurs, il est marqué dès l’enfance par une tragédie fondatrice : la mort de son père alors qu’il n’a que quatre ans. Cet événement fait naître en lui une culpabilité profonde et une religiosité névrotique dont il passera le reste de sa vie à se libérer.

Nietzsche, enfant prodige, entame des études de théologie avant de se tourner vers la philologie. Très jeune, il obtient un poste prestigieux à l’université de Bâle, qu’il quitte rapidement pour une vie d’errance solitaire. Entre l’Italie, les Alpes et Nice, il écrit dans une chambre d’hôtel une œuvre qui ne sera pleinement reconnue qu’après sa mort, en 1900.

Philosophe de la vie, Nietzsche rejette l’idée d’un monde supérieur et d’un salut chrétien. Il défend un immanentisme radical : il n’y a pas d’autre monde que celui-ci. Mais cet ici-bas, il le veut vibrant, chaotique, fécond. Sa pensée s’articule autour de concepts puissants — la volonté de puissancel’éternel retour et le surhomme —, qu’il faut lire non pas de manière psychologique ou politique, mais comme des intuitions ontologiques. Le surhomme, loin d’être un tyran, est celui qui surmonte le ressentiment et crée de nouvelles valeurs.

La mort de Dieu n’est pas pour Nietzsche un slogan athée, mais le signe d’un effondrement civilisationnel. Le christianisme, en inversant les valeurs — en glorifiant la faiblesse et la souffrance —, a selon lui miné l’Europe. Il faut donc penser une transvaluation radicale. Son œuvre est une dénonciation du nihilisme occidental, né de Platon et prolongé par le christianisme, que seule une nouvelle aube philosophique pourra dépasser.

Enfin, Nietzsche n’était ni fasciste ni anarchiste. Sa pensée, souvent déformée, est avant tout historique, prophétique, tragique. Il se voyait comme un philosophe de l’avenir, celui qui n’explique pas le monde, mais annonce ce qui pourrait advenir. Sa parole — parfois christique, parfois dionysiaque — est celle d’un homme qui, loin de juger la vie, l’assume jusque dans son éternel retour.

Et si tout devait revenir ? Nietzsche vous demande : seriez-vous capable de revivre votre vie à l’infini — sans plainte, sans regret, sans haine ? Voilà le défi de sa pensée.

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Philippe Gaudin
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Horizontal Pictures