Dans la société moderne, les conversations sur la mort et le deuil semblent souvent distantes, voire taboues. Alors que la vie quotidienne devient de plus en plus numérique et rapide, les espaces de deuil collectif et de commémoration se sont raréfiés. Aujourd’hui, la perte d’un être cher peut provoquer un sentiment d’isolement chez les personnes endeuillées, qui se débattent dans un ensemble de rituels fragmentés et sont souvent confrontées à un manque de ressources et de soutien. Pourtant, le besoin d’une expression commune de la perte reste profond, et des approches novatrices apparaissent pour combler ces lacunes. Dans un entretien accordé à Regards protestants, Antoine Nouis, pasteur et théologien protestant et Clémentine Piazza, fondatrice et présidente d’inmemori, société de pompes funèbres, se penchent sur ces complexités, réfléchissant à la signification de la mort dans la société contemporaine et explorant les moyens de créer des pratiques de deuil plus cohésives et plus solidaires.
Le décalage dans le deuil moderne
Face à la mort, de nombreuses personnes sont aujourd’hui livrées à elles-mêmes, tant sur le plan émotionnel que pratique. L’une des principales lacunes réside dans le fait qu’il est souvent difficile de communiquer efficacement des informations de base sur les arrangements funéraires. Clémentine Piazza partage son expérience personnelle lorsqu’elle a aidé un ami à surmonter le décès d’un être cher. Elle s’est rapidement rendu compte que le fait d’informer les amis et la famille des détails des funérailles, tels que les dates, les lieux et les heures, peut représenter un fardeau écrasant. « Il est épuisant d’essayer de contacter tout le monde alors que tout ce que l’on veut, c’est être présent et faire son deuil », explique-t-elle.
Au-delà des questions logistiques, l’absence d’espaces partagés pour exprimer ses condoléances et ses souvenirs contribue au sentiment d’isolement des personnes endeuillées. De nombreuses personnes souhaitent partager leurs émotions, leurs souvenirs et leurs messages de soutien, mais il leur est difficile de savoir où et comment s’adresser à eux. Comme le fait remarquer le pasteur Antoine Nouis, qui a présidé des centaines d’obsèques, les rites traditionnels du deuil se sont progressivement estompés, laissant les familles sans conseils sur la manière de gérer leur chagrin. Cette absence de rituels structurés peut aggraver les sentiments de solitude et de tristesse, empêchant les gens d’honorer pleinement leurs proches.
Créer de nouveaux rituels grâce aux solutions numériques
Conscientes de ces besoins, des plateformes numériques comme inmemory interviennent pour offrir des espaces significatifs pour le deuil collectif. Clémentine Piazza, inspirée par sa propre expérience, a cofondé inmemory, un service en ligne où les familles peuvent partager des informations sur un proche décédé, afficher des messages commémoratifs et même créer des campagnes de dons pour soutenir des causes importantes pour la personne décédée. « C’est un moyen de s’assurer que tous ceux qui le souhaitent puissent apporter leurs souvenirs, leurs mots ou une simple présence », explique-t-elle.
Antoine Nouis voit cette plateforme comme un moyen moderne d’adapter des traditions anciennes de rassemblement et de commémoration, permettant aux gens de faire leur deuil d’une manière à la fois privée et accessible. Inmemory ne vise pas à remplacer les rituels traditionnels, mais à les améliorer en tirant parti de la technologie pour faciliter la communication et l’unité. Les hommages en ligne sur inmemory, par exemple, restent accessibles longtemps après les funérailles, permettant aux individus de revisiter les souvenirs, les anniversaires et les dates importantes au fur et à mesure qu’ils digèrent leur perte au fil du temps.
Pourquoi affronter la mort est important
Malgré les efforts déployés pour rendre la mort plus accessible, le sujet reste difficile pour de nombreuses personnes. Le déni de la mortalité est très répandu, certains préférant ne pas penser à la mort du tout. Cette attitude reflète un malaise généralisé face à l’idée de la mortalité. Le pasteur Antoine Nouis souligne que, paradoxalement, le fait de reconnaître la mort peut permettre d’apprécier davantage la vie. « La présence de la mort est ce qui définit la vie », dit-il, « et si nous n’acceptons pas notre propre finitude, nous ne pouvons pas saisir pleinement la beauté et le sens de notre existence”.
Dans l’Antiquité, le « memento mori » (expression latine signifiant « souviens-toi que tu mourras ») était un principe directeur. La méditation sur la mortalité était considérée comme un moyen d’enrichir chaque jour d’un objectif. En ravivant la conscience de la mort, les gens peuvent retrouver une approche de la vie plus complète et plus ancrée. En fait, un sentiment de paix et de clarté naît souvent de la confrontation avec la mortalité, comme on le voit dans les pratiques traditionnelles où les gens se préparent à la mort en se réconciliant avec leurs proches et en exprimant leurs dernières volontés. En France, cependant, Antoine Nouis souligne que les gens meurent souvent dans des environnements stériles comme les salles d’urgence, où l’expérience est plus technique qu’humaine. Ce changement reflète un problème plus profond dans la relation actuelle de la société avec la mort – la peur d’affronter l’inévitable qui, en fin de compte, sape notre capacité à vivre pleinement.
Raviver la communauté et la consolation
Le deuil n’est pas un fardeau individuel mais une expérience communautaire, qui peut favoriser l’unité, la guérison et la résilience. Dans les moments de perte, les gens redécouvrent souvent leurs liens, ce que le pasteur Antoine Nouis décrit comme un élément fondamental du deuil. « Il y a un processus naturel, une solidarité qui émerge », dit-il, « et c’est déchirant quand les gens ne peuvent pas y accéder à cause d’obstacles logistiques”. Des plateformes comme inmemory contribuent à raviver cette solidarité en créant un espace sûr et privé où les familles, les amis et les connaissances peuvent se réunir, partager et se consoler mutuellement.
Adopter une nouvelle relation avec la mort
À mesure que les sociétés se modernisent, les rites funéraires traditionnels et les coutumes de deuil doivent s’adapter aux besoins contemporains, et non pas disparaître complètement. La renaissance de ces pratiques, que ce soit par le biais d’outils numériques ou de rituels revisités, peut contribuer à restaurer la communauté autour de la mort, renforçant ainsi notre humanité. Inmemory représente un changement vers des pratiques de deuil plus compatissantes et accessibles, favorisant un espace où les gens peuvent se réconcilier, se souvenir et se connecter dans les moments de perte.
Pour reprendre les mots d’Antoine Nouis, « le deuil est pour les vivants », ce qui nous rappelle que se souvenir et honorer nos proches, c’est autant affirmer la vie que se confronter à la mort. La visite des cimetières, le partage des souvenirs et l’entretien d’espaces comme inmemory nous permettent d’affronter la perte avec ouverture et honnêteté, enrichissant nos vies de la profondeur que seule la conscience de la mortalité peut apporter. En acceptant cette évolution, la société peut trouver un moyen de construire une vie plus riche, qui reconnaît tout le spectre de l’expérience humaine, y compris la mort.
Production / Réalisation : Fondation Bersier – Regards protestants
Intervenants : Clémentine Piazza, Antoine Nouis
Entretien mené par : David Gonzalez