Dès les origines du christianisme, la question du partage matériel se pose avec force. Contrairement à une lecture simpliste des Actes des Apôtres, les premiers chrétiens ne pratiquaient pas une abolition totale de la propriété privée. Ce que révèle l’historien Jonathan Cornillon, spécialiste du christianisme antique, c’est une dynamique plus subtile : une mise à disposition des biens au service des membres de la communauté, selon leurs besoins.

À Jérusalem, vers les années 30-33, les disciples vivent « tout en commun », selon les chapitres 2 et 4 des Actes. Mais il ne s’agit pas d’un communisme primitif ni d’une fiction édifiante. Il s’agit plutôt d’un modèle souple, fondé sur un impératif : répondre aux besoins des plus fragiles, parfois en vendant un bien, parfois en donnant de l’argent. Le mensonge d’Ananie, puni sévèrement, n’est pas d’avoir gardé une partie pour lui, mais d’avoir feint une générosité totale. La logique : on ne se moque pas de Dieu, et la solidarité matérielle est une affaire sérieuse.

Paul, dans ses lettres, pousse plus loin cette dynamique avec la collecte en faveur des pauvres de Jérusalem. Il s’agit d’un double geste : pédagogique et communautaire. Pédagogique pour les nouveaux convertis venus du monde polythéiste, peu habitués à la solidarité matérielle ; communautaire pour montrer aux apôtres de Jérusalem que ces convertis peuvent eux aussi s’engager concrètement. Paul insiste sur un don régulier, proportionné aux moyens de chacun, impliquant toute la communauté, pas seulement les riches.

Cette solidarité n’est pas déconnectée de l’évangélisation : donner, c’est aussi participer à la mission. Paul finance d’ailleurs ses déplacements grâce aux dons, tout en continuant parfois à travailler de ses mains. Il célèbre la générosité des Philippiens ou des Corinthiens, rappelant même qu’ils auraient « donné leurs propres yeux » s’il l’avait demandé.

Si la majorité des premiers chrétiens étaient modestes, certains membres, comme Philémon, Gaius, Lydia ou Chloé, possédaient des ressources et jouaient un rôle clé en accueillant les communautés ou en soutenant financièrement les missions.

L’enseignement est clair : la foi ne se dissocie jamais du concret. Dans le christianisme des origines, la solidarité spirituelle est indissociable du partage matériel. Une Église sans entraide serait une Église amputée de son cœur.

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : Jonathan Cornillon
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Horizontal Pictures

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