Qu’est-ce qui vous a motivée à écrire ce livre ?
Kahina Bahlou : L’écriture de ce livre a été motivée par de nombreuses demandes. Beaucoup de gens m’ont demandé de prendre le temps d’exposer mes idées, que j’avais eu l’occasion de partager de manière éparpillée dans les médias. Je sentais une véritable attente. Au-delà des personnes qui m’entourent, il y a un besoin de parler de l’islam autrement aujourd’hui. J’ai voulu revenir sur mon parcours personnel, mais aussi éclairer certains moments de l’histoire contemporaine de l’islam pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui.
Pensez-vous représenter une majorité silencieuse ?
Kahina Bahlou : Oui, je crois vraiment que nous représentons la grande majorité silencieuse. Le titre « Mon islam, ma liberté » n’est pas pour parler de moi, mais pour me mettre à la place de chaque musulman de cette majorité silencieuse qui pourrait dire la même chose. J’ai reçu beaucoup de messages de gens qui me remercient de prendre la parole pour eux et de donner une image de l’islam qui leur ressemble, celle de leurs familles, de leurs mères et de leurs grands-mères. Cette volonté de réappropriation de l’islam s’exprime sur un plan collectif, mais aussi personnel. Il s’agit de vivre l’islam de manière individuelle et intime, en se démarquant des idéologies politiques qui voudraient en faire une idéologie.
Pourquoi cette mise au point arrive-t-elle si tard ?
Kahina Bahlou : Le processus de prise de conscience de la nécessité de se réapproprier sa religion est très long. J’ai grandi en Algérie, durant la décennie noire, quand l’idéologie des Frères musulmans a commencé à se diffuser. Ils ont réussi à nous convaincre que nous étions de mauvais musulmans, presque exclus de l’islam. On finit par absorber ce discours. La prise de conscience vient progressivement. Pour moi, elle a été déclenchée par le drame de la perte de mon père, une crise existentielle profonde qui m’a renvoyée à mon intériorité et à ma spiritualité. J’ai alors constaté la dichotomie entre un islam prosélyte et un islam spirituel, celui que ma famille m’avait transmis. Il m’a fallu du temps pour comprendre que l’islam ne leur appartient pas, qu’il a une vocation universelle, et que j’ai aussi le droit d’en parler.
Quelle est votre expérience du dialogue interreligieux ?
Kahina Bahlou : J’ai grandi dans un environnement de dialogue interreligieux. Ma famille était composée de musulmans, de chrétiens et de juifs. Ma grand-mère maternelle était d’origine juive polonaise, et mon grand-père était catholique. Ces rencontres familiales étaient naturelles pour moi. Aujourd’hui, cela semble loin et incroyable, mais c’était ma réalité. Je ne me posais même pas la question de la cohabitation entre les religions.
Coproduction : Fondation Bersier – Regards protestants / Revue Etudes
Intervenantes : Marion Muller-Colard, Kahina Bahloul