Une masculinité qui honore Christ

Voici le beau thème qui m’est imparti pour les minutes qui viennent.

10 minutes c’est court pour évoquer un sujet aussi important, intime et public à la fois, très contemporain également à l’heure où bien des abus et des excès de l’homme mâle sont mis en évidence dans les sphères familiales, publiques, professionnelles, voir ecclésiales.

Une masculinité qui honore Christ.

Un thème qui m’interroge autant qu’il me stimule et me responsabilise.

Essayer de mettre des mots c’est d’abord se remettre en question soi-même. Je m’interroge donc, moi, l’homme, devant l’injonction « sois un homme » : Es-tu un homme ? Quel homme es-tu ? Un genre, un sexe, le fait d’être autant humain qu’homme mâle. Es-tu un homme ?

Et la masculinité, c’est quoi au juste ?

De la virilité, de la robustesse, des muscles, de l’endurance, une poigne de fer, du charme, de la puissance, du succès, des privilèges.

La capacité de s’imposer en tant qu’homme. Le mâle dominant qui s’efforce de maîtriser aussi bien la nature que les ressources, les circonstances que les défis, ses ennemis que ses concurrents, ses peurs que ses failles.

L’excellent ouvrage d’Ivan Jablonka « Des hommes justes, du patriarcat aux nouvelles masculinités », évoque 4 types de masculinités :

Une masculinité ostentatoire qui s’affirme par la démonstration de sa vigueur, de son désir, de son courage. Une masculinité ostentatoire, prête à se battre, à prendre des risques inconsidérés pour montrer de quel bois elle se chauffe.

Une masculinité arrogante et téméraire qui fait l’homme sûr de lui, de sa force, de son pouvoir, qu’il pourrait bien aller dès lors jusqu’à afficher par toutes sortes de frasques publiques ou privées, tout mépris pour des limites morales, financières ou sexuelles… une masculinité qui lâche la bête.

Ou alors, une masculinité tout en contrôle qui exprimerait la force intérieure grâce à laquelle l’homme maîtrise ses passions, dompte ses appétits et tempère sa violence, se contraint oui.

Une masculinité de gentleman en quelque sorte, une prolongation du scoutisme cher à Baden Powell. Comme si la puissance masculine contrôlait la puissance masculine… tout en la magnifiant.

Ou encore une masculinité de sacrifice, grandiose et imposante, qui consisterait à s’abolir volontairement en se donnant tout entier à une cause par fidélité à une donnée transcendante – Dieu, la patrie, une femme, un homme, une famille, un clan.

L’homme tout entier absorbé dans son engagement faisant cohabiter abnégation et sainteté, idéal et absolu, flamboyance et jusqu’au boutisme, quitte à aller jusqu’au martyr… mais non sans s’en vanter.

Ou encore une masculinité d’ambiguïté qui serait capable d’intégrer le féminin, de donner la vie, métaphoriquement, ou de générer l’homme sensible, le vrai mâle qui peut tout se permettre en mêlant : douceur et violence, armes et bijoux, larmes et dureté, qui éclipse ses concurrents en osant jouer avec le féminin, ce qui serait alors le comble de la virilité.

Le point commun de ces masculinités est qu’elles sont toutes de pouvoir voire de domination, visant à faire émerger les « vrais » hommes des autres et qu’elles vont souvent de pair avec l’abaissement du féminin, genre inférieur : « Et les romains vous êtes des romaines ! »

Ces masculinités de domination culminent dans le patriarcat : le monde se recrée entre hommes, pour les hommes, par les hommes. Les privilèges sont protégés et ils ne souffrent d’aucune remise en question. Que ce qui a toujours été demeure. Le masculin s’arroge l’autorité morale, spirituelle, institutionnelle.

La puissance symbolique du masculin justifie la domination sociale des hommes, renforcée par des siècles d’histoire et de traditions parfois toxiques.

Heureusement, les mouvements féministes ont remis en cause ce système.

Mais avant les mouvements féministes, il y a eu le Christ, l’homme, ecce homo, le Christ qui a proposé et propose toujours une masculinité toute autre, ou même plus largement une humanité toute autre, dans laquelle chacun chacune peut puiser pour la prolonger.

L’une des choses qui me frappe à la découverte du Christ, c’est qu’il ne présente aucun des attributs propre au mâle moderne masculiniste et en même temps pourtant hommes et femmes peuvent s’identifier à lui. C’est que le Christ c’est quelqu’un qui vous attire.

L’homme Christ, Sauveur à tous égards, est très loin des standards de masculinité que nous chérissons trop encore.

Le décrire complètement dans les 4 minutes restantes est impossible.

Mais voyez-le, l’homme parfait : dévoué, sensible, accueillant, fidèle,  doux et humble de cœur.

Je l’observe accueillir, valoriser, sanctuariser comme nul autre, les femmes, les enfants, les pauvres, les malades, les étrangers. Il prend leur défense quitte à déranger un système établi et auto-protégé.

Je le vois être attirant par son accueil inconditionnel et sa grâce conquérante. Il prend soin de casser volontairement bien des stéréotypes et résister à ce que beaucoup attendaient de lui pour le faire correspondre à une certaine image culturellement acceptable.

Voici l’homme cohérent : ce qu’il dit il le fait. La parole et les actes.

Je le découvre répondre à la tentation de la violence par la douceur, le pardon et l’abandon.

Et voyez comme il retourne et redéfinit les valeurs de sa religion, de sa tradition, de sa culture, de son genre même.

Il se dévoile, travaille, il est fatigué, ou triste. Il fait à manger pour des amis. Et quand il est dans le doute, l’épuisement, quand il a besoin de prendre du recul pour soigner sa relation à Dieu son Père, il le dit.

Il intègre la frustration, les limites du possible, le manque, le questionnement, la tristesse et la peine, et les exprime.

Enfin, voyez-le prendre la parole et se taire, abandonner ses droits et aimer les siens jusqu’au bout, passionnément, tous et toutes.

Voyez-le ultimement se confier en Dieu, certain d’être en sécurité.

Voyez-le donner naissance à une humanité nouvelle et depuis la nourrir, la chérir, la soigner.

Une masculinité qui honore Christ se nourrit alors de la sienne, s’y immerge, s’en inspire, la prolonge.

 

Alors, j’aime voir en Jésus un homme juste, qui nous invite à l’être à notre tour.

Je suis juste un homme qui cherche à être juste. Je suis fils d’un père et d’une mère, et père d’une fille et d’un fils. Je suis marié à une femme formidable, qui m’a éveillé aux questions de justice de genre et de justice sociale. Et je me rends bien compte qu’il est difficile de renoncer à ses privilèges et qu’en même temps défendre la justice de genre en tant qu’homme c’est lutter contre soi-même, sans entrer toutefois dans une stérile contre-masculinité.

Je ne prétends pas être un modèle et je suis bien conscient d’être aussi le fruit de mon époque, qui m’a permis de bénéficier d’avantages liés à une certaine masculinité.

Mais aujourd’hui ma foi chrétienne me fait les interroger, les remettre en question et parfois les corriger ou y renoncer.

Je suis un homme qui cherche à être juste, juste un homme.

Et si la justesse du masculin provenait de la conscience de l’injustice sur laquelle il repose ? Les hommes pourraient en tirer un sentiment d’appartenance bien plus puissant et stimulant que tous les pauvres lieux communs de la masculinité.

Les justes sont d’abord des révoltés, qui ont faim et soif de justice.

Et si j’aspire à être un homme juste je sais en même temps tout ce qui m’en sépare, mais ça ne m’empêche pas de prendre parti, parti contre le pouvoir masculin hégémonique et contraignant, parti pour une justice de genre et l’égalité homme-femme qui nous fera avancer et honorera Celui qui l’a résumée en Sa personne, le Christ.

Meyrin, 27 mars 2021 – Philippe Henchoz

Coproduction : Regards protestants / Servir ensemble – servirensemble.com
Intervenant : Philippe Henchoz