Nommé aumônier régional des prisons en décembre dernier par le Conseil national de la Fédération protestante de France (FPF), Patrick Aublet a déjà une longue expérience du monde pénitentiaire.
« J’ai toujours été engagé dans l’aumônerie au cours de mon ministère pastoral. Lors de mon stage de fin d’études à Lyon, j’étais accompagné par un frère de Taizé, aumônier des prisons, qui m’a incité à l’y suivre. Depuis, au gré de mes postes en paroisse, j’ai toujours eu à cœur de poursuivre : au Puy-en-Velay, à Valence, à Clermont-Ferrand… »

Faire vivre la diversité

L’aumônerie pénitentiaire protestante en France est encadrée par la commission Justice et aumônerie des prisons (JAP) de la FPF, autour d’aumôniers régionaux dans les neuf régions pénitentiaires. Au total, ce sont un peu plus de 300 aumôniers protestants qui visitent les détenus.
« À côté des aumôniers, d’autres personnes peuvent intervenir dans le cadre des établissements pénitentiaires, ce que nous valorisons trop peu dans nos Églises protestantes. Des intervenants occasionnels peuvent accompagner ponctuellement les aumôniers, comme à Chambéry, où un intervenant vient pour jouer de la guitare lors des cultes. En d’autres lieux, ce sont des groupes de parole, des chorales, des concerts, des expositions… Des auxiliaires d’aumônerie peuvent, eux, conduire des célébrations en prison, même en l’absence d’aumônier titulaire. »

Dans la région Auvergne–Rhône-Alpes, c’est une quarantaine d’aumôniers protestants qui œuvre, représentant la diversité des Églises protestantes ; « j’ai recensé onze dénominations différentes, une grande variété d’Églises, membres de la FPF ou non. » C’est certainement l’une des missions premières de l’aumônier régional que de faire vivre sereinement cette diversité. Patrick a été sollicité dès ses premières semaines de fonctions pour régler une situation conflictuelle dans un établissement où travaillent trois aumôniers, dont une femme et un pasteur d’Église pentecôtiste.
« Pour ce dernier, il était impensable qu’une femme exerce un tel ministère et puisse célébrer des cultes… Mais, au sein de cette mission, il est prioritaire de faire en sorte que les Églises travaillent ensemble. »

Des impacts importants

Il est nécessaire depuis 2017 que les aumôniers obtiennent un Diplôme universitaire de laïcité (dispensé à Strasbourg, côté protestant). Les aumôniers régionaux ont également à cœur de former au mieux les intervenants sur le terrain. « Dans la région, nous avons habituellement un week-end et une journée par an. Ces deux dernières années, nous avons dû nous contenter des journées : avec Lytta Basset, sur la question du pardon, et avec un médecin-psychiatre, autour des problématiques de santé mentale en prison. »

« La pandémie a malheureusement eu d’autres répercussions sur l’aumônerie : les cultes sont encore souvent suspendus et, surtout, les aumôniers n’ont plus accès aux zones de détention, ils ne peuvent plus faire de visites en cellule. Les détenus doivent demander à rencontrer l’aumônier et la visite se tient dans une salle dédiée. Les rencontres au détour d’un couloir ou d’une cellule ne peuvent plus avoir lieu. Le contact avec les détenus, quels qu’ils soient, comme lors de la distribution systématique de calendriers de lectures bibliques à Noël, est devenu impossible. Ce changement, malheureusement, pourrait être durable… »

Pour une parole protestante

Pour Patrick Aublet, cela fait partie des sujets dont les Églises protes[1]tantes devraient se saisir, tant cela affecte le fonctionnement de l’aumônerie et renforce les discours sécuritaires et punitifs – qui ont particulièrement le vent en poupe en période électorale. « La question de l’enfermement devrait être abordée ; le tout carcéral a ses limites, on sait que ça ne fonctionne pas ! Aujourd’hui, un détenu sur trois va récidiver ; les conditions d’incarcération sont telles qu’elles ne peuvent que générer un surcroît de violence. La France conserve cette conception médiévale de la « contrainte des corps » et reste à la traîne sur les peines alternatives ou la mise en place d’une justice restaurative. »

Comme tous les membres de la commission JAP, Patrick porte également deux préoccupations liées à la conjoncture. Le pasteur Brice Deymié a quitté ses fonctions d’aumônier national en juin dernier pour prendre un poste au Liban ; personne ne s’est pour l’instant présenté pour lui succéder. En février, le député de l’Eure, Brunon Questel, devait remettre un rapport sur l’aumônerie pénitentiaire. « La question de la rémunération des aumôniers, voire de leur fonctionnarisation, est en jeu. L’aumônerie musulmane peine à recruter. Offrir un meilleur statut aux aumôniers pourrait sembler, à certains, être une piste pour favoriser ce recrutement. Les aumôniers chrétiens sont plutôt opposés à ces évolutions possibles. Il y a le risque d’une instrumentalisation des aumôniers, en particulier en vue de lutter contre la radicalisation, celui d’une perte de liberté de parole et, surtout, de grands changements dans la perception que les détenus auraient alors des aumôniers. »

  • La région pénitentiaire Auvergne–Rhône-Alpes regroupe 19 établissements pénitentiaires (maisons d’arrêt, centres pénitentiaires, centrales, établissements pour femmes, un centre pour mineurs). Il y a 8 200 détenus. Environ 400 ont un contact ponctuel ou régulier avec les 38 aumôniers protestants