Équipes ouvrières, Mission dans l’industrie, entreprises d’insertions… Sa pastorale est aussi une méthode d’action et de réflexion où évangélisation et éducation populaire sont les deux faces d’une même pièce.

Guy Bottinelli (1922-2018) était un enfant du peuple, «de naissance et de reconnaissance» (2)…

Ses parents étaient italiens, immigrés en France. Gamin, il vivait dans le 15e arrondissement de Paris, alors ouvrier et pauvre. De cette période, il disait: «Pour parler comme Georges Charpak, tout m’a manqué sauf la tendresse…».

Protestante, sa mère voulut pour son fils une instruction religieuse. Elle l’envoya au Foyer évangélique de Grenelle. Ce fut là «qu’il commença sa réflexion sur le sens de la vie, et que naquit en lui l’aspiration à un monde meilleur débouchant plus tard sur une vocation pastorale» (3).

Il se présentait lui-même comme un fils de l’immigration, avec une forte volonté d’intégration. Il découvrit le christianisme social et l’injustice tout en même temps, fit le choix d’un ministère pastoral auprès du peuple, ce qui le mena, du Foyer du peuple (4) à la Mission populaire à Nantes (1949), à la Mission dans l’Industrie à Lyon (1983) en passant par les Équipes ouvrières protestantes (EOP) à Montbéliard (1963).

«Qu’est-ce que Guy Bottinelli, au cours de son ministère au service du protestantisme français, a apporté aux personnes et aux groupes désireux de mettre en accord l’évangile de leurs convictions et la réalité de leurs actes en société?» (5) Question de Jean-Pierre Molina, compagnon de route et bibliste hors pair qui, longtemps, marcha à ses côtés. Réponse: «L’attention au monde du travail, avec un a priori de sympathie envers les travailleurs subalternes» (6).

Un pasteur qui, d’un engagement précis dans une population donnée, a su tirer des enseignements généraux. Dit avec un langage théologiquement codé, l’option préférentielle pour les pauvres (7), telle qu’elle a été pratiquée par Guy Bottinelli, l’a mené à l’universel. Une sorte d’éducation populaire mâtinée d’Évangile qui, au fil des ans, forgea des principes pertinents dans tous les milieux sociaux.

Une pensée ? Non, une pastorale…

Ils sont rares les universitaires dont les travaux apparaissent dans les écrits de Guy Bottinelli. S’il savait puiser chez eux, de Marie-Dominique Chenu (8) à Fernand Braudel (9), de Michaël Novak (10) à Amartya Sen (11), s’il lisait continûment des revues, et parmi les plus prestigieuses (12) dans son secteur de prédilection, il ne visait pas le savoir encyclopédique sur tel ou tel problème. Avec le père Lebret, fondateur en 1943 de la revue Économie et Humanisme, il considérait que ce qui est scientifique, c’est d’impliquer les gens dans le processus de connaissance.

Guy Bottinelli était donc pasteur, avant d’être penseur. Il fabriquait ce que le théologien Stéphane Lavignotte appelle aujourd’hui une éthique embarquée (13). Au plus près des gens et des contraintes économiques: «Une éthique qui se refuse à se penser ‘volant’ au-dessus des personnes et des situations mais ‘voguant’ dans les barques humaines complexes, contradictoires, agitées, attachant de l’importance aux sentiments et au vécu des personnes» (14).

C’est d’une pastorale particulière qu’il est question ici, une pastorale populaire. Pour le dire avec les mots des Équipes ouvrières protestantes, il «s’est agi d’aborder le monde du travail par la catégorie sociale la plus assujettie aux fins de mois difficiles, car l’Évangile est prioritairement adressé aux moins favorisés» (15). Ce qui n’empêchait nullement Guy Bottinelli de cheminer avec des cadres et dirigeants. Plus même, il disait «admirer les entrepreneurs» et nombre de chefs d’entreprise avaient une évidente considération pour le pasteur Bottinelli qui, lui, «ne parlait pas à la place des gens».

«Il a porté inlassablement cette conviction: avant de prêcher aux travailleurs il faut les écouter. C’est bon pour les gens, c’est bon pour la prédication aussi» (16). Guy Bottinelli pratiquait assidûment la visite pastorale.

Et il prêchait. Pas tant lors des cultes, qu’à l’occasion de conférences, de réunions, de ce qu’il appelait à Lyon ses Méditations sociales. À mi-chemin entre l’analyse  […]