Le mot d’ordre des mentalités religieuses dominantes peut de nos jours s’exprimer ainsi : « Je m’implique là où je trouve ce qui me correspond, et je contribue à ce que je vis. » Une perspective individualiste que Gabriel Monet explique ainsi : « On cherche aujourd’hui à ce que la vie spirituelle soit reliée à la vie tout court. » La référence dernière n’est plus l’Eglise officielle, mais l’expérience personnelle. La mission des Eglises s’oriente par conséquent vers les besoins des gens. Jörg Stolz y voit une stratégie de marketing : « On identifie des gammes de besoins et on crée des produits adaptés. »

Cette approche correspond à une société en recherche spirituelle. L’affiliation paroissiale confessante est minoritaire. Une majorité de personnes conçoit la vie comme un pèlerinage spirituel : être chrétien, ce n’est plus appartenir à une institution, mais tout au plus « envisager que l’héritage chrétien puisse être plausible », esquisse Philippe Gonzales.

Une fausse alternative

Attention toutefois à ne pas s’enfermer dans un modèle binaire ! Il y aurait d’un côté les anciennes paroisses territoriales, appelées à disparaître, auxquelles on appartenait par tradition sans être vraiment impliqués, et de l’autre les initiatives nouvelles en dehors des paroisses. Ce classement rigide risque de semer la confusion, avertit Olivier Bauer, professeur de théologie pratique à l’Université de Lausanne : « Il y a des gens très forts pour labelliser des initiatives qui existaient déjà avant eux. » Comme le montre le diagramme ci-contre, les lieux de vie des réformés romands forment une nébuleuse qui ne se limite ni aux paroisses ni aux Eglises émergentes. Ces divers espaces sont appelés à cohabiter et à se dynamiser l’un l’autre.

Des territoires flottants

Les paroisses ne sont pas condamnées à rester figées. Partout en Suisse romande, si l’on prend le temps d’enquêter en détail, on découvre que d’innombrables initiatives inclassables renouvellent et diversifient l’offre des paroisses : lieux phares, cultes du marché, cours de méditation, rencontres interreligieuses, marches sportives, expositions culturelles, groupes de partage œcuméniques et interreligieux, etc. La liste est infinie. Olivier Bauer déboulonne les vieux schémas : « Chaque engagement paroissial est tout aussi individuel qu’un engagement dans un autre lieu. Et puis, la vie des paroisses n’est plus définie par la carte territoriale, mais par la vie des gens. » Un constat que Xavier Paillard, président de l’EERV, s’empresse de confirmer par les faits : « Grâce aux dérogations de domicile, il est désormais possible d’être domicilié à Yverdon et élu au conseil de paroisse de Moudon. »

De nouvelles manières de s’engager

« L’économie mixte » inspire à Gabriel Monet une nouvelle définition de l’Eglise. Martin Luther l’avait définie comme « le lieu où la Parole est prêchée et les sacrements correctement administrés. » A l’heure où les cultes sont désertés, ces deux critères ne suffisent plus. L’Eglise véritable apparaît lorsque la Parole de Dieu est non seulement prêchée, mais aussi reçue. Peu importe où cela se vit, que ce soit dans les paroisses ou en dehors de tout espace ecclésial. Le théologien finit par conclure que l’Eglise tout entière est appelée à devenir une Fresh expression : « Toutes ces initiatives sont des aiguillons, des avant-gardes d’une réalité bien plus large qui les dépasse, des avant-postes d’une évolution de l’Eglise dans son ensemble. »

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Edition Genève du mois de Mai 2017