La laïcité à la française est une histoire dont les seuils marquent la construction d’une identité collective ambivalente. Compromis progressivement élaboré pour organiser le vivre ensemble dans une nation, certes plurielle et fortement sécularisée selon son autoreprésentation contemporaine, mais en même temps irriguée de manière largement inconsciente par son héritage catholique et fruit d’un processus multiséculaire de centralisation monarchique, la laïcité, c’est significatif, y est régulièrement revendiquée comme principe, voire valeur morale à vocation universelle.

C’est en particulier le cas en une période marquée par une violence aux motivations religieuses affichées et médiatisées, et qui suscite une compréhensible résistance. Celle-ci se manifeste entre autres par la réactivation, parfois virulente, d’une rhétorique laïque guerrière. Parmi les propositions de ce qu’il est convenu d’appeler la laïcité de combat, celles concernant la neutralisation religieuse de l’espace public sont en passe d’acquérir une acceptabilité sociale qui aurait été difficile dans l’Europe du milieu du 20e siècle, occupée à sa reconstruction politique et morale sur les principes des Droits de l’homme, en particulier de la liberté individuelle, et notamment religieuse. En France, la laïcité ouverte (s’il est encore permis d’adjectiver le mot sans passer pour sacrilège), fixée dans le droit notamment en 1905, faisait alors la démonstration d’une mise en œuvre possible de ces principes. C’est à partir des années 1980 que certaines problématiques, largement construites en tant que telles par les systèmes médiatico-politiques (les sectes, le foulard), et surtout la manière d’y répondre (une Mission de lutte contre… et un interdit vestimentaire inscrit dans la loi), commencèrent à annoncer les crispations actuelles.

Au moins trois facteurs interdépendants contribuent, depuis, au raidissement des débats :

1. La diversification du paysage religieux au profit de minorités jusque là peu visibles : Églises évangéliques, franges traditionnalistes du […]