Par Rémi Fabre, professeur à l’université Paris-Est – Créteil
Les protestants français se montraient très attachés à la République et à ses valeurs universelles, et en même temps très soucieux d’afficher une fidélité à la patrie que mettaient en doute certains nationalistes.
Autour du mouvement religieux du Christianisme social et du mouvement laïc la Paix par le Droit, l’idéal pacifiste chrétien était ainsi exprimé par Wilfred Monod, qui affirmait dans ses sermons qu’il était temps pour l’humanité de refermer la parenthèse fratricide ouverte par Caïn. En cas de guerre, s’écriait-il en 1911, si nous étions assez lâches pour nous taire, les pierres mêmes de nos temples crieraient. Il précisait toutefois qu’il acceptait la légitime défense et refusait d’admettre la non résistance au mal.
De l’Union sacrée…
Quand la guerre se déclenche en août 1914, Monod, comme son ami Élie Gounelle, comme l’ensemble des pacifistes et des protestants français, soutient la « juste guerre du droit » contre le viol de la neutralité belge et l’agression militariste allemande. Dans les sermons de l’époque, cette cause est aussi présentée comme sainte et certains pasteurs n’hésitent pas à opposer la formule du « Nous avec Dieu » au « Gott mit uns » germanique. Pendant la durée de la grande épreuve, les protestants et leurs pasteurs participent donc à l’Union sacrée, acceptent et exaltent le sacrifice des combattants qui donnent leur vie à l’exemple de Jésus.
Souvent, en particulier au sein du Christianisme social, on espère que ce martyre permettra de tuer définitivement la guerre et d’établir enfin la juste paix entre les peuples. Le projet de Société des Nations défendu à la fin de la guerre par le président des États-Unis, « le chrétien Wilson », sera dans cette optique valorisé. En revanche, on n’accepte pas en général d’envisager une paix de compromis, ni de renouer des relations, même religieuses, avec les Allemands avant qu’ils n’aient reconnu leur culpabilité.
… au pacifisme intégral
Au temps même de la guerre cependant, certaines tensions, certains malaises laissent prévoir pour les années qui suivront l’émergence d’un pacifisme protestant radical et contestataire à l’égard de l’attitude patriotique des Églises. Quelques jeunes combattants sont choqués par les déferlements de haine qui leur semblent monter de l’arrière. Leurs lettres du front nourriront souvent la spiritualité de la jeune génération après la guerre, qui se réfèrera aussi aux lettres des objecteurs britanniques diffusées par le mouvement international de la Réconciliation. De 1915 à 1918, par ailleurs, l’économiste Charles Gide, grande figure du Christianisme social, se montre choqué par la censure et le conformisme ambiant. Dans une démarche un peu isolée au sein de sa famille religieuse, il anime une Société d’études documentaires et critiques sur la guerre où on conteste les bases de l’Union sacrée et du credo patriotique.
Au sortir de la grande épreuve, on voit donc progressivement se profiler deux versions du pacifisme protestant. D’un côté, autour des anciens du Christianisme social comme Monod et Gounelle, un pacifisme juridique, enthousiaste devant la Société des Nations, mais continuant à affirmer la nécessité de défendre s’il le faut le droit par la force, et de l’autre un pacifisme intégral, adepte de la non-violence, qui s’exprime dans les Cahiers de la Réconciliation animés par Henry Roser ou André Trocmé, et inspire au début des années 1930 le témoignage « prophétique » des objecteurs de conscience, tels Philippe Vernier, Camille Rombaut ou Jacques Martin.
Cet article est paru dans les différentes éditions de la Presse Régionale Protestante