L’adaptabilité est de règle
Ces cours sont souvent dispensés dans un cadre ecclésial, généralement protestant, mais d’autres espaces en proposent aussi. « Sister Nat », par exemple, ancienne élève du Théâtre National de Strasbourg, dispense ses cours de Gospel dans des salles de répétition « laïques » sans lien avec une paroisse. Interrogée pour savoir s’il faut croire en Dieu pour chanter du Gospel, elle affirme que « c’est mieux » de croire… mais que ce n’est pas obligatoire. La fluidité et la transversalité de l’offre de musique Gospel se retrouve ici. On l’observe en matière de public, en matière de groupes, en matière d’offre musicale (concerts, animations, cours) et en matière de répertoires.
Le mix d’ingrédients est relativement stable : il faut une chorale, de la bonne humeur, un axe thématique tourné vers la « Bonne Nouvelle » de l’Evangile et une inspiration biblique tournée vers l’émancipation. Comme l’exprime le descriptif donné par le groupe « Gospel pour 100 voix », on se situe à la « rencontre de la douleur des esclaves noirs et de la joie de vivre des Caraïbes ».
Mais sur la base de quelques invariants qui permettent d’identifier ce genre musical, l’adaptabilité est de règle. Cette musique s’hybride, innove, et se conjugue aussi bien en plat principal qu’en entrée ou en dessert. Ainsi, au-delà des concerts explicitement estampillés « Gospel », les nouveaux groupes montent aussi volontiers sur la scène, comme à l’Olympia, pour accompagner Dee Dee Bridgewater, Manu Dibango, ou Gérard Lenormand à La Cigale…. Même Florian Pagny, interprète de Oh Happy Days, fait appel à eux pour un de ses albums.
Un palier est atteint
Depuis quelques années, un premier « palier de reconnaissance » a été atteint. Le marché s’est stabilisé, de grands groupes se sont professionnalisé, la notoriété est là. Portés par un large réseau d’églises évangéliques et adventistes d’immigration récente, implantées dans des conditions souvent très précaires en banlieue parisienne, les ensembles vocaux ont conquis une visibilité et une popularité qui ne se dément pas.
Ce palier de reconnaissance induit deux logiques d’impact. La première touche naturellement le public, qui s’est habitué au « rendez-vous avec le Gospel », et se familiarise peu à peu avec cet univers. La seconde touche…. les interprètes, les choristes et les cercles qui soutiennent directement les groupes musicaux.
Thérapie du ressentiment et désenclavement
Retenons en particulier deux effets sociaux sur les actrices et acteurs du Gospel francophone. Le premier est celui de la « gestion du stigmate » lié à l’immigration, la couleur de peau, l’héritage colonial. En réinterprétant devant de larges publics, et devant des caméras bienveillantes, la théodicée de la « sortie d’Egypte » et de la « nouvelle naissance », à la racine du répertoire Gospel, les ensembles vocaux proposent une véritable « thérapie du ressentiment », transformant le poids des discriminations (passées ou présentes) en libération et en fierté sous la bannière d’un Dieu libérateur.
Le second effet social de ce palier atteint est la mise en place d’un réseau à l’interface entre acteurs religieux afro-caribéens (pasteurs, prophètes, évangélistes, apôtres…) et le grand public. Par leur capacité à rassembler et dynamiser les réseaux religieux d’invitation(2) , les groupes Gospel ont développé une « centralité d’intermédiarité », comme l’écrit le sociologue Baptiste Coulmont, contribuant au désenclavement de cultures minoritaires désormais conviées au centre du « grand récit de la francophonie ».