Le poids démographique de la francophonie protestante aujourd’hui représente au moins 40 millions de chrétiens. Nourrie par une langue partagée, des références communes et des réseaux transnationaux, elle s’ancre dans une histoire qui reste à faire. Quelles étapes retenir ? Quatre séquences se détachent.
La première francophonie calviniste (XVIe siècle)
Dès les débuts de la Réforme, la langue française a véhiculé les idées nouvelles par-delà les frontières. Voici le temps d’une première francophonie calviniste. C’est à Jean Calvin (1509-1564), le plus célèbre exilé français à Genève (Suisse), que l’on doit d’avoir conjugué langue française et protestantisme au travers d’un choix fort : celui de traduire en français, dès 1541, son oeuvre majeure, la Christianae Religionis Institutio. La première version de cette somme était en en latin. Elle passera vite au second plan devant l’œuvre française. Au XVIe siècle, L’institution chrétienne diffusa en Europe non seulement la théologie de Calvin, mais aussi une écriture soignée, étudiée plus tard par les linguistes qui y voient un exemple de maîtrise de la langue française, honorée en 2009 par les éditions de la Pléiade.(1)
La francophonie du Refuge (XVII-XVIIIe siècle)
Construite sur un axe franco-suisse, la première francophonie calviniste s’est trouvée relayée, à partir de la fin du XVIIe siècle, par la dynamique diasporique du Refuge. Le Refuge, c’est l’exode d’environ 200.000 huguenots, protestants français, à la suite de la Révocation de l’Edit de Nantes par le roi Louis XIV. Proscrits du Royaume de France, beaucoup de protestants ont hissé les voiles. Et tissé un réseau international dans lequel la langue française a joué son rôle de lien. Les Avertissements prophétiques d’Elie Marion (1707), forte tête des French Prophets exilés à Londres, est un exemple, parmi d’autres, de cette production protestante francophone induite par le Refuge.(2)
La francophonie des missions (XIX-XXe siècle)
Avec l’assimilation progressive des réfugiés huguenots dans leurs sociétés d’accueil vient le temps d’une troisième francophonie, celle des missions. Portée par un élan principalement initié de Suisse et de France, la mission protestante en langue française connaît, au XIXe siècle, un certain âge d’or, étudié par l’historien et missiologue français Jean-François Zorn. C’est le temps d’une diffusion nouvelle de la foi protestante dans la langue de Calvin, Rousseau et Vinet, au travers de vastes territoires administrés, ou non, par la tutelle coloniale française.
La francophonie postcoloniale (XX-XIXe siècle)
Avec le temps des indépendances, après la Seconde Guerre Mondiale, s’ouvre pour les protestants une nouvelle ère francophone, dans laquelle nous vivons encore. Eglises et fidèles des cinq continents sont reliés par des facilités de transport sans précédent, et sont connectés en temps réel grâce aux technologies de la Révolution numérique. La circulation ne s’effectue plus de manière linéaire, du pays de mission vers le pays évangélisé. Elle fonctionne en réseau, dans des « territoires circulatoires » où bien souvent, les anciens colonisés se font désormais prophètes de nouveaux horizons chrétiens. Rempli d’incertitudes, ce temps de la francophonie protestante postcoloniale s’appuie aussi sur deux socles solides : un protestantisme rajeuni et stimulé par la croissance évangélique, et une langue française dont certains vont jusqu’à prédire qu’elle deviendra la langue la plus parlée dans le monde à l’horizon 2050 !(3)