Sébastien Kalombo, qui êtes-vous ?
Je suis professeur de sciences des religions à l’Université Protestante au Congo (UPC) à Kinshasa. Je suis protestant, membre de l’Eglise du Christ au Congo, de branche réformée (presbytérienne). Je suis né le 26 juin 1964 dans une famille protestante ; je suis marié et père de trois enfants. Je prépare actuellement deux ouvrages sur les pentecôtismes congolais.
Comment avez-vous vécu la Révolution numérique au Congo RDC ?
Tout ce qui permet d’alléger les conditions de travail et favorise une meilleure productivité est bon à prendre ! J’ai commencé à travailler sur ordinateur pendant mes études universitaires chez les catholiques, où j’ai étudié la philosophie. Par la suite, j’ai poursuivi à l’université protestante au Congo. J’ai commencé à avoir une bonne maîtrise de l’Internet vers 1989-1990. Depuis, je reste émerveillé par les possibilités qu’offrent le web !
Comment décririez-vous l’impact des chaînes numériques au Congo RDC ?
La diversité protestante devrait se vivre dans la communion, mais c’est loin d’être le cas. Au contraire ! Les chaînes numériques ont augmenté la division. Pour preuve, rien que dans la ville de Kinshasa, nous avons une 50è de radios, 16 télés confessionnelles, et dans la périphérie, 34 chaînes de télévision communautaires. A cela s’ajoute trois radios et télévisions publiques. Tous ces médias sont en langue française et en langues locales (Lingala, Swahili, Kikongo,Tshiluba).
Parmi les télévisions confessionnelles, il y a des chaînes protestantes évangéliques ou pentecôtistes, et des chaînes protestantes traditionnelles. L’ennui, c’est que toutes ces chaînes de télévision protestantes n’ont pas un cadre commun. Il n’y a aucune coordination, aucune unité dans l’action. Chacune conçoit son programme, chaque chaîne fait ce qu’elle veut, et table sur la publicité pour se faire l’argent.
Quelle est la tendance ?
La sociologie des religions dans notre pays essaie de démontrer que la crise qui a sérieusement secoué la RDC est à la base de l’émergence de beaucoup d’églises, dites pentecôtistes ou de réveil. Ces églises ont été soutenues, pour la plupart, par des Megachurches d’origine américaine et nigériane. Elles ont compris que pour aller très vite dans la conquête des adeptes, il était très important d’investir dans l’espace médiatique, ce qu’elles ont fait. Elles dominent aujourd’hui le paysage des médias et provoquent l’exode considérable des membres des églises protestantes traditionnelles, et aussi des fidèles de l’Eglise catholique romaine, qui ont adhéré à ces nouvelles églises.
Tout au long de la journée, les radios et chaînes de télévision de ces églises ne présentent que des miracles opérés par leurs leaders. Elles attirent particulièrement les Congolais victimes de la crise et en quête de repères. Je n’ai pas peur d’affirmer que s’il y avait du travail pour tout le monde, la plupart de ces églises fermeraient !
Quels usages font vos étudiants de ces nouveaux médias ?
J’ai beaucoup d’étudiants qui n’ont pas d’accès facile aux médias et qui ne savent pas manier l’ordinateur. Certes, il y a des salles informatiques çà et là, mais elles sont payantes et la plupart n’y vont pas, faute d’argent. Quand il faut rédiger les monographies, les parents se démènent, chacun prend un opérateur qui effectue la saisie et la mise en forme pour l’étudiant, puis on imprime… L’informatique à la maison n’est pas dans les usages, sauf pour les plus fortunés.
Un téléphone portable coûte moins cher qu’un ordinateur, mais là encore, tous n’en disposent pas, à cause de la situation de crise qui a secoué et qui secoue encore le pays.
Concernant les médias francophones, beaucoup n’ont même pas un poste de radio ou une télévision pour les suivre. Et ceux qui en possèdent doivent parfois faire face aux coupures d’électricité ! Il n’est pas rare en effet que certains quartiers restent plongés dans le noir pendant des semaines. Certaines personnes ont des groupes électrogènes, mais encore faut-il avoir du carburant ! Au final, la plupart de ces chaînes de télévision protestantes francophones sont suivies de manière ponctuelle et fractionnée.
C’est-à-dire ?
On ne regarde pas la télévision de manière régulière ou continue. On suit de temps en temps certaines émissions, on s’organise à plusieurs pour les voir. C’est souvent le cas pour les programmes qui mettent en avant la réalisation de miracles. Du coup, on allume le média pour voir des miracles plutôt que pour écouter l’Evangile… Je dénonce le fait que ces nouveaux médias ne sont pas assez réfléchis. On vend les œuvres accomplies par Dieu au travers de leaders. C’est comme si on faisait de Dieu un garçon de course, un faiseur de miracles dont on lui passerait commande. Cela fait du mal au protestantisme congolais !