Ni une option ni un slogan, « Demeurez dans mon amour » est un ordre du Christ dont le COE tente de témoigner à un niveau mondial.

Une fraternité absolue

Parfois lourde à porter lorsque les tensions entre Églises sont profondes, la nécessité de demeurer ensemble est pourtant une règle absolue du COE depuis sa création. La tentation serait d’exclure les réfractaires, les autres si différents qui parfois se lient à des causes inacceptables comme la guerre en Ukraine. Mais à son arrivée il y a neuf ans au Comité central du COE dans la foulée de l’Assemblée de 2013 en Corée, le pasteur Laurent Schlumberger a été marqué par la force effective de la fraternité. Avec elle, la puissance du Conseil lors de crises historiques a déjà fait ses preuves, par exemple pour lutter contre l’apartheid sans jamais exclure aucune Église.

La puissance de fraternité se dévoile d’abord dans les rencontres entre délégués du monde entier, issus de cultures et de théologies très différentes. L’un des ciments est le respect des participants les uns pour les autres dans un a priori de confiance. Car, au-delà des personnes, se dévoilent les situations des Églises.

On y côtoie aussi bien une pasteure de Kinshasa confrontée à l’urgence de réfugiés trop nombreux, qu’un représentant du Tuvalu polynésien dont l’archipel n’aura bientôt plus d ’eau potable, ou bien un Américain dont l’Église tente d’infléchir la violence ou le racisme. Ce décentrement des préoccupations hexagonales facilite sans doute la profondeur des rencontres et la légitimité de chacun, c’est en tout cas l’une des forces des Assemblées.

La recherche si longue du consensus

La structure internationale du COE est autant un atout face aux défis mondiaux, qu’un poids. Puissance diplomatique de premier plan, l’organisation se doit d’avancer doucement, ce qui peut sembler difficile d’autant que les divergences ne sont jamais évacuées. Mais Laurent Schlumberger souligne la bienveillance des délégués et la grande compétence du personnel, car il faut avancer en plusieurs langues sur deux plans conjoints : la recherche théologique et l’action. Pour l’action, des milliers d’ONG et d’associations reliées doivent être coordonnées, mais cela forme un nuage de témoignages d’une grande richesse fraternelle.

Du côté de la théologie ou de la doctrine, le travail sur les questions séparatrices pour manifester l’unité visible de l’Église se fait avec l’Église catholique dans le cadre de Foi et Constitution. L’évolution des débats doit ici se constater sur le temps long, comme ce fut le cas pour la reconnaissance universelle sur le baptême intervenue dans les années 1990 après des débats d ’une décennie. Un temps nécessaire, car le consensus n’est jamais mou, mais exigeant.

Une valse des couleurs

Car ici, on ne vote pas : le mode d’accord nécessaire au consensus se construit pas à pas au fil des interventions. Le modérateur de l’Assemblée ou du Conseil scrute les participants et gouverne au rythme de la couleur, les délégués brandissant constamment un carton orange ou bleu pour signifier qu’ils sont « chauds ou froids » avec l’intervenant. Quand une opposition de fond se maintient malgré les débats, on s’accorde alors sur l’existence d’une divergence qui sera honorée en étant soit actée, soit retravaillée plus tard, et l’on passe au point suivant.

Pour Laurent, ce système particulier, qui pourrait inspirer certaines pratiques ecclésiales, manifeste une réalité du COE pour lequel le consensus n’est pas seulement une culture, mais son ADN. Car la mission de l’Église ne s’exerce pas d’un centre vers la périphérie du monde ; elle doit intégrer toutes ses extrémités pour traduire l’unité chrétienne et en témoigner.

Une gouvernance unique

La recherche constante de consensus donne ainsi au Conseil un atout pour les contacts extérieurs et la gouvernance. Car ses travaux ont du poids pour manifester l’unité de l’Église à l’international. La visite du pape François à l’occasion des 70 ans du COE, au lendemain des 500 ans de la Réforme, marque cette reconnaissance, comme les contacts actuels avec l’Église orthodoxe russe sont un point de témoignage fort. À ceux qui souhaitaient exclure le patriarcat de Moscou, la réponse a été très clairement négative, mais des moyens de discussions se sont mis en place, susceptibles d’apporter une contradiction et de renforcer le dialogue au sein même du clergé russe.

Cette stabilité permettra au nouveau secrétaire général élu, le pasteur presbytérien Jerry Pillay, doyen de la faculté de Pretoria, de reprendre au 1er janvier prochain les rênes dans la continuité, sans à-coups dans une période où les relations internationales sont tendues à l’extrême.

La spiritualité, force d’évolution

Alors que l’évolution de fond des positions du COE se fait sur des périodes longues, les partages spirituels ont une puissance immédiate tant ils rythment et nourrissent les journées d’une diversité fraternelle en mouvement. Traduisant l’évolution du monde chrétien, ils s’adaptent aux questions du moment et disent le souci constant de ce qu’on appelle à Genève la « diaconie transformatrice ». C’est-à-dire tendre la main et s’attaquer aux causes des problèmes. Comme dans un pèlerinage de justice et de paix, les participants aux Assemblées et les organismes diaconaux avancent à petits pas vers un témoignage commun. L’ampleur des actions et des causes défendues apporte là encore au COE une influence sur les idées ou les tendances du monde, mais permet aussi le retour d’informations de terrain fiables et convergentes, par exemple en ce qui concerne le statut des femmes, l’enfance, les questions touchant à l’eau ou à la paix.

Un thème actuel

Ces questions sont au cœur de l’Assemblée de 2022 à Karlsruhe. Le thème, « l’amour du Christ mène le monde à la réconciliation et l’unité » laisse entrevoir la solidarité et l’incarnation de cet amour dans le monde, qui pourrait privilégier un œcuménisme du cœur et de l’action. Pour Laurent Schlumberger c’est aussi une manière de recentrer les Églises sur leurs fondamentaux, par exemple par le mot « Amour » ou la mention du Christ.

Une des marques de l’Assemblée sera de rendre compte du chemin à accomplir vers l’unité, insistant sur le fait que c’est le Christ qui mène le monde et non les Églises, ce qui les appelle au service. Dans des sociétés aujourd’hui en grande souffrance, affirmer ainsi l’unité comme fruit de la réconciliation et l’inscrire principalement dans le service apparaît d’une grande pertinence.