Ces dernières années, on a beaucoup alerté (y compris dans Réforme) sur le wokisme et la cancel culture, qui représenteraient un risque civilisationnel par un coupable penchant à la censure. Or la plus énorme entreprise de destruction d’écrits et d’éléments de savoir depuis des décennies a lieu aujourd’hui précisément au nom de l’anti-wokisme.
Depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, l’accès à des centaines de sites internet et à des millions de pages a été supprimé. Outre des tragédies humanitaires (la fermeture de l’Agence des États-Unis pour le développement international et de tous ses sites) ou des mesquineries écœurantes (la suppression des pages en espagnol sur le site de la Maison-Blanche), un travail colossal a été lancé pour supprimer tout ce qui semble « woke ».
Ainsi, sont effacées toutes les sources permettant de croiser la cartographie de la pollution et celle de la situation sociale ou de l’origine ethnique de la population ; toutes les données concernant les politiques de santé (par exemple face au sida) à destination des communautés LGBT ; toute la jurisprudence et l’arsenal réglementaire des politiques d’inclusion des administrations publiques et même des entreprises américaines… La présence sur une page internet de mots comme « antiracisme », « non-binaire », « inclusif » ou « transidentité » suffit à supprimer des contenus par millions.
On n’ose faire référence aux autodafés de 637 à Ctésiphon en Perse ou de 1933 en Allemagne puisque la société civile et les communautés numériques copient, protègent et rendent accessibles ailleurs les contenus censurés. Mais c’est presque une circonstance aggravante : il y a quelque chose du roi Ubu dans l’acharnement à mener une entreprise de censure impossible à réussir en notre siècle numérique.
Bertrand Dicale, journaliste, pour « L’œil de Réforme »