La scène s’est déroulée dimanche 30 juin à Angers, dans un bureau de vote. Un citoyen s’est avancé vers l’urne et, comme il est d’usage, a tendu au président de séance à la fois sa carte d’électeur et sa carte d’identité. Aussitôt, l’un des assesseurs a prononcé le patronyme de ce monsieur d’une façon comique, en voulant signifier par cette caricature que le bonhomme avait sans doute une origine étrangère. L’électeur a corrigé cette faute et fait comprendre qu’il était choqué. C’est alors que l’assesseur est parti d’un rire énorme et gras, comme si la perspective des résultats du premier tour des élections législatives le libérait d’une insupportable contrainte : celle du respect du nom des autres. Cet homme donnait le sentiment de pouvoir laisser libre cours à son instinct, ses pulsions, ses désirs.
Alors l’auteur de ces lignes a pensé à ses ancêtres. Du côté paternel on trouve Luis, bon garçon né le 26 mars 1850, espagnol engagé dans la garde nationale en 1870 et qui reçut pour cela, récompense formidable à ses yeux, la nationalité Française, éleva d’une poigne de fer ses neuf enfants dans l’amour de la musique et de la patrie ; toujours de ce côté-ci, Tatiana Seeliger, avec ses sœurs et ses parents venue de Bessarabie, pour qui Dieu ne pouvait être heureux qu’en France, par qui le protestantisme entra dans la famille puisqu’elle épousa, bien qu’elle fût restée fidèle à la religion de la Torah, un calviniste hollandais. Celui-ci s’est révélé joueur et ivrogne – eh oui, cela se peut ! –, Tatiana divorça, mais sa fille Marie-Louise vécut toute son existence dans la piété protestante. Une autre histoire du côté maternel ; rien de romanesque sur un plan géographique, à moins de considérer Cambrai sous un jour exotique – on y parle c’est vrai, de tous temps, ce français de voix grave et rieuse que Jacques Bonnaffé, dans un autre genre Dany Boon, ont rendu populaire. Des ouvriers, des employés – des gens de peu, suivant l’expression de Pierre Sansot –, qui surent, grâce à l’école, gravir l’échelle sociale.
La liberté, l’égalité, la fraternité
Drôle de cocktail ? Oui, drôle de cocktail en vérité. Mais qui n’en connaît pas ? De nos jours, un Français sur quatre au moins possède une origine étrangère. Telle est la grandeur de notre pays, qui intègre et qui donne à des enfants venus de tous les horizons la liberté, l’égalité, la fraternité. C’est au nom de cette noble ambition que la France brille aux yeux du monde, bien plus que par un taux de croissance, un commerce extérieur, des inventions – pourtant nombreuses et remarquables, telles que le cinéma, des vaccins, des avions.
Il n’est pas jusqu’à nos couleurs, nos belles couleurs, qui ne soient le fruit d’un mariage. Le rouge et le bleu symbolisent Paris, cette ville-monde où, dès qu’un être y élit domicile, il y est adopté tandis que le blanc représente la royauté, mais pas n’importe quelle royauté, puisque c’est le panache d’Henri IV, homme du Béarn, protestant de toute éternité, nonobstant sa conversion définitive qui nous fait souffrir toujours un peu.
Parlons-en du protestantisme Français. Ce n’est pas le rigorisme à fraise blanche, costume et chapeau noirs. Pas non plus celui d’Afrique du Sud. Oh non. Le protestantisme français a des secrets de sourires, des parfums de partage, et toujours il discute. Il n’est pas de tout repos. Ce n’est pas le confort assuré, la commodité de pensée, non. C’est même le contraire, tant il est vrai qu’il n’est jamais là où l’on croit qu’il va se situer. Mais qu’il vienne d’Alsace – merveille que cette région, traversée de douleurs, inquiète à chaque pas, ce qui lui fait rechercher le chemin droit comme une certitude – ou des Cévennes, de Vendée, le protestantisme invite à la découverte, à la culture du doute, à la recherche du mot juste. Encore un trésor de la France.
Voilà le travail, ô cher assesseur d’un bureau de vote Angevin. Voilà ce que c’est que la France. Nous n’avons pas la prétention d’écrire une page d’histoire. Et nous faisons volontiers nôtre ce joli mot d’Antoine Rufenacht, un homme de droite comme on les aime, aussi républicain que possible, rude et gaulliste, et protestant bien sûr : « au fond les Casadesus sont des saltimbanques. » Oui, nous avons le goût du Music-hall, ce territoire de fard, de fanfreluches et de poudre de riz, cet air hagard au petit matin des journaux, quand le café crème vous coule dans les veines. Oui, nous avons le goût funambule, qui nous porte à jouer du Ravel et du Claudel sur un fil, à secouer Balzac et Flaubert, Alexandre Vialatte et Marcel Proust, Albert Cohen et Giono dans le shaker de la littérature. Et pour cela, nous resterons Français. Musique !