Identifier le mal pour le prendre en compte

L’évangile de Jean permet de montrer en quoi le terme de violence représente une nébuleuse d’actes, de pensées et de paroles difficiles à identifier. Si le besoin d’un certain ordre implique des usages légitimes de la force, la frontière est faible entre autorité et abus.

Oui, Jésus a chassé les marchands du Temple. Prenant des cordes pour s’en faire un fouet, il les chasse ainsi que les animaux, disperse les monnaies, renverse les tables et dit aux marchands d’enlever de là bêtes et volatiles. Cinq actions qui apparaissent comme violentes en quelques versets.

La violence relativisée

D’aucuns diront qu’on ne peut faire le procès de Jésus et que ces actes d’éclat furent pour la bonne cause, la purification du Temple de Jérusalem. Mais nul ne peut réellement prétendre savoir ce qu’est une cause bonne aux yeux de Dieu, sans immédiatement courir le risque de l’arbitraire, du dévoiement de la cause ou de susciter des abus d’interprétation, voire de justifier des violences issues d’autres causes moins bonnes. À relativiser la violence, on l’excuse et on la légitime. Or la violence, quelle qu’elle soit, détruit implacablement tout sur son passage : humanité, espérance, amour et même foi. Combien de personnes au regard de ce texte ont justifié leur propre incroyance en se disant que ce Dieu ne valait pas beaucoup mieux que les abus humains ? Même le grand Calvin a utilisé ce passage en 1554 pour justifier sa décision de purifier le temple en condamnant le théologien Michel Servet, qui niait la divinité de Jésus. Alors pourquoi un tel récit a-t-il été placé dans la Bible, recueil de la foi des hommes, au nom d’un Dieu d’amour ?

Quelle légitimité ?

L’histoire des marchands du Temple est située juste après celle des noces de Cana où l’eau, symbole de la Parole et de la purification, se transforme en vin, symbole de mouvement et de vie. Jean marque ainsi la nécessité de ne pas s’arrêter à la purification mais de la traduire concrètement dans son existence.

La scène au temple précède par ailleurs le dialogue entre Jésus et Nicodème, ce croyant de l’ombre appelé à la lumière d’une vie renouvelée. Il s’agit donc bien dans l’épisode des marchands, de dégager pour l’humain un espace nécessaire à la vie, de manière qu’il puisse traduire réellement ce qu’il croit dans des actes concrets. 

Or les marchands du Temple en sont un contre-exemple, en reléguant le rituel qui devrait faciliter l’éclosion de cette vie nouvelle au rang d’un banal commerce. Vouloir stopper cela se justifie, en tant que libération. La force est alors un moyen, maîtrisé et conscient, pour accomplir une mission légitime, comme c’est par exemple le cas lorsqu’un État délègue à des personnes mandatées l’exercice de la justice ou de la police au nom du peuple. Dans ce cadre, la force ne rime pas avec la violence, elle ne viole pas l’existence d’autrui.

L’action physique n’est qu’un aspect du mal

Une sanction, une amende ou un jugement constituent une force maîtrisée pour répondre aux violences abusives d’individus considérés comme néfastes à la société. Dans l’évangile de Jean, les marchands sont les signes de ce caractère néfaste d’une religiosité abusive, lorsqu’ils soumettent le salut des humains à des rituels tarifés, sorte de prostitution divine. La violence incontrôlable est ici dans l’abus imposé au croyant.

On voit par cet exemple que ce que l’on nomme habituellement violence, ne représente que la partie physique de l’iceberg. La réalité de la violence dépasse infiniment cette conception. Abus de pouvoir, abus spirituel, discrimination, gestes déplacés, emprise ou harcèlement sont pleinement partie prenante de la violence. Ils suivent la même logique et tuent tout aussi efficacement l’espérance, la foi ou la dignité d’une personne. Pourtant, les Églises sont sans doute mieux armées que d’autres corps sociaux pour déceler les emprises et les révéler au grand jour. Leur habitude de l’exégèse devrait permettre un décryptage systématique des pratiques et des situations. C’est là une grande part de l’utilité du fascicule de l’Église protestante unie.