En 1949, l’abbé Pierre rencontre Georges qui devient le premier compagnon. Que lui propose-t-il ? En quoi c’est audacieux ? A-t-il dès le début des convictions fortes sur l’humain ?
À cette période, l’abbé Pierre a en effet déjà des convictions fortes sur l’humain : il a été moine, prêtre, puis résistant chrétien sauvant des juifs et créant des maquis. Après-guerre, il est devenu député et très engagé dans un mouvement pacifiste international. Mais il n’a pas encore de grandes convictions dans le domaine caritatif. Il a toujours dit : « Emmaüs, ça n’est pas ce que nous avons voulu, c’est ce qui nous est arrivé ». Il est parti de contraintes pour faire se rencontrer, en quelque sorte, une « offre » de bénévolat (cet homme désespéré qu’il faut accueillir) et une « demande » (trouver des solutions aux familles à la rue en hiver et en pleine crise du logement).
Dans l’action, il se forge très vite ses valeurs et son originalité caritative. Notamment trois : contre la charité traditionnelle binaire et verticale où, selon le proverbe, « la main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit », il invente un système plus circulaire et ternaire où des bénévoles et des professionnels aident des compagnons à aider des familles. D’autre part (c’est un héritage de la Résistance, mais aussi une spécificité forte par rapport à beaucoup d’associations de l’époque), il considère et il assume qu’il y a des cas où le droit (par exemple au logement) prévaut sur la loi, la légitimité sur la légalité ; que parfois, quand la protection et la vie des personnes sont en jeu, « c’est la loi qui est illégale ». Enfin, il constate, en accueillant Georges, qu’il ne faut pas tant redonner « de quoi vivre » qu’une « raison de vivre » ; il remet les compagnons, ceux qui n’ont plus rien, en situation de donner.
Pourquoi les compagnons se mettent-ils à pratiquer la récupération ?
La récupération existe depuis des siècles, et en particulier au XIXe, avant l’apparition des poubelles, des « chiffonniers » qui récupèrent les déchets pour en vivre. Mais quand naît Emmaüs, ce système informel a déjà quasiment disparu au profit des éboueurs municipaux. Il n’est plus pratiqué que par des « marginaux », comme on les appelait alors, dont certains des premiers compagnons. Quand l’abbé Pierre perd son indemnité parlementaire puis devient à court de ressources, fin 1951, ils lui proposent cette solution de survie. Les compagnons d’Emmaüs, d’abord « bâtisseurs », deviennent donc également « chiffonniers ». À nouveau, c’est un choix non pas idéologique, mais d’abord […]