J’y suis. Me voilà dans cette cellule. Je ne sais comment j’ai pu franchir cette porte si étroite, en marchant en crabe, instinctivement. J’étends les bras. Je touche les murs de chaque côté. Je promène mes regards sur ces murs écaillés. Me voici dans ce lieu si étriqué, cet espace si resserré. Des mois d’attente à me questionner sur cette entrée dans le bâtiment B. Elle était là cette pensée, à toute heure, à me susurrer que je m’y rendrai. Je n’avais même pas la nausée. Au contraire, je sentais ce cœur léger palpiter exigeant de moi que je vive et que je m’accroche à cette ancre qui m’empêcherait de sombrer.
Captive d’idées obscures, je l’étais en raison d’une succession d’épreuves douloureuses : divorce inévitable, amitiés abandonnées, nièce rejetée et malmenée, innocence bafouée, rages accumulées, pensées impures et enténébrées. Quelle funeste réalité ! Quelle mère indisponible et indigne j’étais ! Et mon corps, celui-là, rempli d’amertumes, sujet à tant de violence et soumis à des pressions effroyables. Un corps tourmenté, abîmé et complètement esquinté. 11 décès. J’ai craqué.
Détruite, perdue, vidée de toute énergie, j’étais prisonnière d’une toile tissée et resserrée sur elle-même. Incapable de respirer. Le combat a commencé : des démons qui assaillaient mon esprit, qui venaient m’envahir chaque nuit et arracher mon âme. Dans la folie, je sombrais ? Mon corps se gonflait comme s’il allait éclater… Ma tête était sur le point d’exploser. Je suis condamnée.
Pourtant, dans cette cellule exiguë, la lumière paraît, illuminant et mon cœur et mon âme troués. Je me souviens de ma lignée : ma grand-mère emprisonnée pour avoir aimé et tué sa rivale. Heureusement, elle a failli… Mon oncle portugais, incarcéré. Qu’a-t’il fait ou plutôt qui a-t-il exécuté ? Des gens du voyage l’ont humilié, agressé. Est-ce lui qui les a provoqués ? Je ne le saurai jamais. Mais un homme est tué ! Je me souviens de cet enfant compatissante qui attendait dans la voiture. Je voulais y aller… accompagner mon père, entrer dans le parloir et lui dire que Jésus pouvait lui pardonner et le sauver. Malheureusement j’en ai été empêchée et suis restée à pleurer et à prier puis j’ai oublié.
Mais aujourd’hui, dans cette cellule exiguë, la lumière traverse la pièce et nous enveloppe tous les trois. Je me souviens de ce portail barreaudé. Était-il là pour ma sécurité ou symbolisait-il ma destinée ? J’avais deux ans et on m’a oubliée… J’avais des couettes et des cerises pour accroches. Midi sonnait, mon estomac grouillait. Je suis restée là, une éternité, à observer cette cour tellement vidée. Chaîne dans la bouche, je mâchouillais ces trois petits cœurs qui ornaient mon cou. Les voilà grignotés et tout déformés. J’étais angoissée. Combien de temps, j’allais rester là, derrière ces barreaux, à attendre qu’on vienne me sourire, me nourrir et me libérer ?
Me voilà abandonnée. Je le croyais… mais sa présence était palpable et une flamme grandissait en mon esprit. Ce souvenir m’était déjà revenu… plus d’une fois… Et le visage de cet oncle m’est apparu à ce moment-là, tandis qu’on m’accompagnait dans cette cour carcérale ! Elle me semblait immense et si menaçante avec ses ronces barbelées. Néanmoins, le ciel était à découvert et mon cœur tout ouvert. Des hommes enfermés y erraient, abandonnés de tous. Jugés, ils l’ont été. Pourquoi en rajouter ?
Préparée, je l’ai été, depuis cet abandon, dans la cour où j’ai saisi qu’il n’y avait rien de plus douloureux que de rester seule, enfermée par des barreaux, à regarder les passants traverser, sans même recevoir un sourire, un regard, une main à serrer, des bras dans lesquels se blottir.
Me voilà dans cette cellule. Trois cœurs y frémissent et mon âme tressaille de joie. Je suis désormais aumônier. J’offre mes oreilles. Elles ne sont pas ensablées, mais toutes tendues pour offrir à ces frères la présence de Dieu.
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