Le philologue italien Carlo Ossola a publié, au mois d’avril (en version française), un petit livre fort réjouissant : La vie simple, Les vertus minimes et communes. La parution aux éditions « Les Belles Lettres », plutôt réputées pour leur élitisme, met tout de suite en garde quant à la simplicité dont il s’agit. L’auteur, professeur au Collège de France, nous promène, avec une érudition époustouflante, dans l’ensemble de la littérature européenne et mentionne, par ailleurs, assez régulièrement, les évangiles dans sa réflexion. Tout cela, il faut le reconnaître, sans ostentation et, pour le coup, avec une simplicité de ton qui fait passer d’une œuvre à l’autre presque naturellement et sans effort.
Est-il nécessaire de faire de tels détours pour arriver à parler d’attitudes ordinaires que bien des personnes endossent, autour de nous, sans faire de vagues ? Je trouve, pour ma part, que l’exercice n’est pas gratuit, car la simplicité est, en fait, surtout de nos jours, plus une conquête qu’un point de départ.
Nous sommes tiraillés de bien des côtés par l’appel à être des héros, des compétiteurs performants, des personnalités hors du commun, à affirmer notre singularité et notre originalité, bref à nous distinguer de la masse. Qui ? Les professions intellectuelles auxquelles appartient Carlo Ossola, assurément, mais pas seulement. Les leaders populistes, par exemple, appuient sans retenue sur le désir « d’être quelqu’un », de sortir de l’ombre, d’exister sur la scène nationale ou internationale et cela, au prix de violences, de guerres, d’exactions diverses et de mensonges qui coulent à jet continu. La perspective d’être héroïque (fût-ce collectivement), de gagner, de s’identifier à des leaders prestigieux, donne des frissons.
Nous inventons, ainsi, beaucoup de complications pour échapper à une simplicité qui, pourtant, n’est pas dépourvue d’attraits.
Et je partage assez bien l’itinéraire de lecture que nous propose Carlo Ossola, qui ressemble à un voyage en quête d’une simplicité qui, finalement, est à notre porte. Mais il faut parfois aller loin pour se pénétrer des paroles de l’évangile : « si ton œil est simple, alors ton corps tout entier sera dans la lumière » (Mt 6.22).
Favoriser une économie de la sobriété, mais comment ?
Et j’ai repensé à ces questions en lisant le rapport du Conseil Économique Social et Environnemental qui s’intitule : « Consommation durable : favoriser une économie de la sobriété ; pour passer de la prise de conscience aux actes », publié au mois de juillet. Là on parle de la simplicité dans le domaine de la consommation (ce qui n’est qu’une des facettes du livre de Carlo Ossola). Les auteurs du rapport mettent particulièrement en avant, à ce propos, le poids de la publicité, dans la tendance irrépressible à penser que nous avons quelque chose qui nous manque et qu’il sera bienvenu de nous encombrer de quelque bien supplémentaire plutôt que de jouir de la sobriété (pour peu que nous ne vivions pas dans la misère, évidemment).
L’intérêt de ce rapport est, on le voit, de souligner que la quête de la simplicité n’est pas seulement une démarche individuelle ou intersubjective, mais qu’elle appelle également des mobilisations collectives.
Quelques remarques glanées ici et là, dans le rapport, m’interpellent. Ainsi : « La communication commerciale est un vecteur significatif pour inciter à consommer. Secteur économique important, les dépenses qu’elle engendre (32,7 Mds€/an), représente l’équivalent des dépenses de recherche et développement de l’ensemble des entreprises françaises ». En d’autres termes les entreprises dépensent autant d’énergie, à l’heure actuelle, pour trouver de nouvelles solutions, qu’à, ensuite, les faire connaître et les faire désirer. Cela laisse songeur ! Le rapport est mesuré, c’est la règle du genre, mais il écrit quand même : « la publicité permet de faire connaître des produits et de valoriser l’innovation. Il n’en reste pas moins que ses incitations permanentes à consommer tendent également à assimiler consommation et bonheur ». Ces incitations permanentes à consommer participent de ce qui, précisément, nous écarte de la simplicité.
Or il serait possible d’orienter la publicité pour qu’elle fasse mieux connaître l’intérêt environnemental (ou pas) d’un produit. Mais il ne faut pas se leurrer : « selon la Commission européenne, en 2020, plus de la moitié des allégations environnementales seraient vagues ou infondées ». Si on veut tendre la perche au consommateur pour qu’il oriente différemment sa consommation, on n’échappe pas à un contrôle public plus resserré et à des affichages plus normés. De même le secteur du recyclage et de la réparation fait face à une pénurie de main d’œuvre qualifiée. « Ces filières apparaissent déjà en tension vis-à-vis des besoins de recrutement (techniciens, réparateurs, logisticiens, etc.) ». Cela interroge les politiques de formation et d’insertion, alors même que les métiers d’ouvriers qualifiés sont en diminution dans l’ensemble de l’emploi. Et, bien sûr, il serait possible d’orienter différemment les choix des consommateurs en jouant sur les prix avec une fiscalité incitative.
Tout cela est possible, mais, on le voit, bien compliqué à mettre en œuvre. La simplicité apparaît, ici aussi, comme le résultat éventuel d’un processus long et compliqué.
La passion d’être ailleurs
Carlo Ossola nous parle de simplicité, parce qu’il observe un monde rempli de cris, de gestes pseudo-héroïques, de passions destructrices ou, au mieux, inutiles. Et certes, notre tendance à croire que tout irait mieux si nous étions un peu plus loin, ou si nous avions un peu plus, est un poison lent et résistant.
J’ai pensé, aussi, en parcourant ce livre, à « la sainteté des gens ordinaires » dont parlait Madeleine Delbrêl et à deux formules d’elle que l’on cite volontiers : « nous autres, gens de la rue, croyons de toutes nos forces que cette rue, que ce monde où Dieu nous a mis est pour nous le lieu de notre sainteté » ; et sa contraposée : « mon Dieu si vous êtes partout, comment se fait-il que je sois si souvent ailleurs ? ».
Oui, c’est là la grande question.