A l’époque des royaumes et des empires du Moyen-Orient Ancien, les prophètes s’adressaient directement aux souverains, et les prophéties les visaient en personne, même si le châtiment divin s’étendait à tout leur peuple ou, au moins, à une large partie du peuple concerné.
Il n’en va pas tellement autrement dans le Nouveau Testament, même si l’Apocalypse de Jean (prenant la suite, d’une prophétie d’Ezéchiel) ajoute aux rois de la terre (Ap 18.9), les marchands, dans leur diversité, qui ont profité de l’ordre impérial pour faire de juteuses affaires (Ap 18.11-19). On remarque, d’ailleurs, qu’entre la prophétie d’Ezéchiel (26 et 27) et le texte de l’Apocalypse, le pouvoir économique a acquis une autonomie plus poussée par rapport au pouvoir politique.

Cette manière de parler nous semble éloignée de la situation d’un pays démocratique, où chacun participe à l’élaboration des lois via son bulletin de vote. Mais, en fait, pas si éloignée que cela, si on regarde ce qui se passe à l’intérieur des partis politiques. L’organisation et le fonctionnement d’un parti doivent beaucoup, en fait, à des logiques claniques qui n’ont rien de démocratique.

L’exemple des élections américaines et des régimes présidentiels

On le voit bien, en ce moment, en suivant les primaires américaines où il est clair que le parti républicain est verrouillé par le clan Trump et, contraint et forcé, doit s’aligner sur les positions de son leader. Les dissidents sont poussés vers la sortie ou marginalisés par les fidèles de l’ex-président qui espère le redevenir.

A vrai dire, tous les régimes présidentiels accentuent cette personnalisation du pouvoir. En France, en tout cas, on voit bien que les partis se rangent derrière des « têtes de gondole » au prix de luttes internes de pouvoir qui conduisent chaque élu de base à se ranger dans une écurie en espérant que son « cheval » gagnera la course. Même à la grande époque des courants, dans le parti socialiste, cette lutte des écuries était perceptible. Et les partis écologistes souffrent d’ailleurs, électoralement, de ne pas sacrifier à cette logique : cela les honore, assurément, mais cela limite leur poids politique.

Dans les régimes présidentiels, les élections se jouent sur des programmes, mais surtout sur des personnalités qui les incarnent et qui, parfois, se soucient assez peu d’appliquer le programme qu’ils ont prétendu avoir en vue.

En revanche ces personnalités servent de pions pour des acteurs économiques qui essayent de pousser leurs intérêts au travers de l’évolution de la législation. C’est d’autant plus marqué aux États-Unis où les campagnes coûtent une fortune et où le candidat élu doit, évidemment, renvoyer l’ascenseur à ses financeurs une fois en place.

La personnalisation du pouvoir est présente même dans les régimes parlementaires

Cette focalisation sur des personnes a de nombreux inconvénients, notamment parce qu’elle est la porte ouverte à des passe-droits, à du clientélisme et à des décisions qui suivent l’intérêt de quelques-uns plutôt que l’intérêt d’un plus grand nombre.
Cela dit, on voit bien que, même dans des régimes parlementaires, la personnalité des leaders joue un grand rôle. Silvio Berlusconi, par exemple, n’aurait jamais été réélu avec les résultats (y compris économiques) désastreux qu’il avait, si son charme n’avait pas opéré. Pour parler en termes weberiens, on dira que la politique reste subordonnée à des leaders charismatiques qui entraînent des troupes derrière eux, bien plus qu’à des discussions publiques et argumentées.

Il y a donc une tension entre une croûte démocratique et des fonctionnements claniques, à charge pour ce qui subsiste de la démocratie de réguler et de limiter, comme elle peut, les prébendes et courts-circuits divers.

La crique de l’abus de pouvoir, toujours d’actualité

Or quel était le message des prophètes dont nous avons parlé pour commencer ? Ils critiquaient l’abus de pouvoir de ceux qui centralisaient entre leurs mains trop de moyens d’action et qui en profitaient pour se servir et servir leurs amis et leur milieu social.
Tout cela reste d’actualité et, en tout premier lieu, pour les dictateurs que l’on continue à voir fleurir un peu partout sur le globe. Mais il faut mesurer l’étendue du fonctionnement clanique jusque chez nous et même dans la politique locale. Chacun, je pense, a en tête des décisions qui ont été prises pour satisfaire une minorité influente, au détriment de la majorité.

Et c’est aussi un avertissement pour chacun d’entre nous : si nous décidons de notre vote en nous laissant trop entraîner par le charme d’un leader, il ne faut pas, ensuite, nous étonner ou regretter que ce leader se comporte comme un chef de clan.