Les opposants au projet de loi sur les retraites essayent d’enrôler les jeunes dans leur mouvement de protestation. En dehors des organisations politiques, les jeunes ont du mal à se mobiliser car la retraite, ce n’est pas le premier de leurs soucis. Ceux de mon entourage pensent qu’ils n’y arriveront jamais ou que le monde aura tellement changé que les données seront radicalement différentes. Le mouvement de protestation part d’un postulat implicite : le travail c’est mal et la retraite c’est bien ; l’idéal est de ne pas travailler. Est-il permis de l’interroger ? En hébreu, deux mots sont utilisés pour évoquer le travail : melakha, qui évoque le travail comme mission, comme participation à l’œuvre de création, et avodah, qui renvoie à la servitude, au travail comme fardeau. Dans le chapitre 2 de la Genèse, Dieu place Adam dans le jardin pour le garder et le cultiver. Le commandement adressé à l’humain ressemble au labeur du jardinier ; c’est le travail comme création. Dans le chapitre 3, l’homme rencontre l’avarice de la terre, les piquants des chardons et la sueur nécessaire pour faire pousser le blé ; c’est le travail comme servitude.

Cette typologie valorise la première compréhension du travail et lui accorde une grande dignité, à la différence du monde grec dans lequel un citoyen qui se respectait ne devait pas travailler. Et si elle déplaçait le cœur de la question ? À côté du débat sur le nombre d’années de travail, la vraie réforme qui changerait la vie se concentrerait sur le sens du travail et sur sa pénibilité. En tant que retraité, je peux témoigner que le bonheur, ce n’est pas de ne pas travailler, mais de travailler à son rythme, sans avoir de pression. Les retraités les plus heureux ne sont pas ceux qui ne font rien, mais ceux qui ont trouvé une activité dans laquelle ils s’épanouissent. Parallèlement à l’augmentation des années de travail, il faudrait se poser la question de la réorientation de ceux qui font un travail pénible pour faire en sorte que chacun ait un travail adapté à son âge. Les questions posées par les jeunes portent sur le sens et les conditions de travail, c’est ce chantier que les syndicats et le gouvernement devraient ouvrir pour opérer un décalage par rapport à l’impasse dans laquelle ils sont sur les durées de cotisation.