Ciblée sur l’Église baptiste de l’Avenue du Maine (Paris), une étude de cas conduite il y a 15 ans (restée inédite) donne des pistes de réflexion. Dans ce second volet, l’enjeu délicat du « casting pastoral » à l’épreuve du changement de la composition des assemblées.

L’Église baptiste de l’Avenue du Maine, dans le 14e arrondissement parisien, illustre un scénario de transition classique, traversé par plusieurs Églises locales de grande ville.

Cette assemblée est passée d’une population blanche métropolitaine à presque 100%, au moment de sa fondation (1899), à une congrégation créolisée où domine, depuis le début du XXIe siècle, une composante afrodescendante.

L’identité revendiquée reste la même, fondée dans la « méta-ethnicité » (Jean- Claude Girondin) du christianisme pour lequel il n’y a plus « ni Juif ni Grec ». Mais les représentations, elles, perdurent, et elles ont des effets sociaux. Les catégories du « Blanc » et du « Noir », socialement construites (1), induisent des relations parfois différenciées au partage de l’autorité, au choix de l’hymnologie, ou aux contenus prêchés. Le passage d’un phénotype blanc dominant à phénotype noir majoritaire a été marqué par des demandes nouvelles de prise en compte pastorale de la diversité, avec des réponses un peu différentes suivant les catégories interrogées. En résumé, les Blancs, qui ont tendance à quitter l’assemblée, sont aussi ceux qui sont le moins demandeurs d’une prise en compte de la diversité. Pourquoi ?

L’exemple d’une Église baptiste américaine

Une enquête pilote réalisée dans une Église baptiste noire aux Etats-Unis par les sociologues Michael Emerson et Christian Smith donne des éléments de réponse (2). Ils ont étudié une Église parfaitement mixte (50% de Blancs, 50% de Noirs), dont tous les membres sont favorables à la diversité et à la mixité. Pourtant, au bout de trois ans, presque tous les Blancs sont partis.

La raison n°1 est la suivante : les Blancs ont l’habitude d’être culturellement et visuellement majoritaires. Se retrouver dans une Église 50/50 tend à provoquer, chez-eux, une interrogation, un inconfort identitaire, et tend à les pousser à partir. Quant aux Noirs, ils ont l’habitude, aux Etats-Unis, d’être culturellement et visuellement minoritaires, voire dominés ou infériorisés (cf. meurtre de George Floyd et de tant d’autres). Être partie prenante d’une Église mixte 50/50 est vécu, pour eux, comme une promotion. Ils auront donc tendance à rester.

Dans le cas de l’Église baptiste de l’Avenue du Maine, le phénomène de bascule a bien eu lieu…. mais l’exécutif, lui, est resté dominé, en tout cas à sa tête, par les Blancs. Seul un répondant sur 58, dans le questionnaire distribué aux fidèles en 2009, a pointé le conseil d’Église comme lieu où se ressent le mieux la diversité culturelle. Faut-il y voir l’expression d’une frustration par rapport à une gestion très « métropolitaine » de l’assemblée, en dépit de la diversité affichée ? Pas sûr.

Casting pastoral : priorité au Blanc

Un autre élément, en revanche, paraît beaucoup plus significatif. De l’aveu de plusieurs membres et responsables, une forme de réticence de principe se serait manifestée face à l’hypothèse d’un pasteur noir (africain ou antillais) à la tête de l’Église de l’Avenue du Maine. Certains témoignages permettent d’en faire l’hypothèse. En principe, ce type de régulation n’a pas lieu d’être en milieu baptiste, marqué par la prééminence absolue de l’Église locale, seule souveraine pour valider l’autorité pastorale (système congrégationaliste). Mais le statut très particulier de l’Église de l’Avenue du Maine, cœur de réseau et « Église vitrine » du baptisme national, aurait, en l’espèce, induit un interventionnisme extérieur inhabituel, visant à pérenniser une « image arrêtée » d’un certain baptisme hexagonal, au détriment d’une ouverture à de nouveaux publics. Cette situation, observée dans la première décennie 2000, n’est sans doute pas propre à une Union d’Eglises en particulier. Elle invite à aller plus loin dans la réflexion sur les enjeux de discrimination au phénotype, notamment dans l’accès aux responsabilités.

Pour conclure, l’évolution séculaire de la sociographie de l’Église baptiste de l’Avenue du Maine à Paris et les stratégies de casting pastoral (priorité au Blanc) se réduirait-elle à l’horizon anecdotique d’une petite assemblée protestante ? En toute hypothèse, le profil ainsi décrit, à l’occasion d’une enquête réalisée il y a 15 ans (3), renvoie à d’autres réalités contemporaines similaires. Bien des assemblées protestantes ont été marquées par un renouvellement profond de leur public, avec des enjeux de mixité, d’interculturalité, qui se posent en 2024 en des termes renouvelés. On peut souhaiter que d’autres enquêtes, déployées dans le terrain protestant d’aujourd’hui, permettront d’aller plus loin, en évitant les pièges de l’effacement généreux des différences tout en cultivant bienveillance et pédagogie. A suivre !

(1) Pap Ndiaye, La Condition noire. Essai sur une minorité française. Paris, Calmann­ Lévy, 2008, p.71.

(2) Michael O. Emerson et Christian Smith, Divided by Faith. Evangelical Religion and the Problem of Race in America, Oxford, New York, Oxford University Press, 2000.

(3) L’enquête complète sur l’Église baptiste de l’avenue du Maine et son rapport à la diversité culturelle est disponible à l’adresse internet suivante : https://blogs.mediapart.fr/sebastien-fath/blog/220424/eglises-et-enjeu-du-racisme-leglise-baptiste-de-lavenue-du-maine-paris

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