La simplicité. Comme une méthode, une intuition, l’espérance du soleil à l’aube d’une saison nouvelle. Qui n’a jamais songé, face à quelque épreuve collective : « ah, si nous nous mettions tous autour d’une table, nous trouverions la solution » ? Eh bien, peu ou prou, c’est ce que vient d’imaginer le président de la République.

Emmanuel Macron a invité le 30 août les chefs de file des partis politiques représentés au Parlement, complétés du président du Sénat, de la présidente de l’Assemblée nationale, à le rejoindre et formuler des propositions, rechercher des réponses aux problèmes de l’heure. « Vous partagez de solides accords et de vrais désaccords, écrit-il à ses interlocuteurs. Mais quand l’intérêt supérieur du pays est en jeu, j’ai confiance, comme beaucoup de Français, dans notre capacité à converger sans reniement ni renoncement. L’ambition sera de convenir de voies d’action qui pourront trouver des traductions concrètes et rapides dans les réalisations du gouvernement et des textes législatifs bâtis ensemble. Le peuple, par la voie de ses représentants et le cas échéant par référendum, aura le dernier mot. »

Nicolas Roussellier, professeur à Sciences Po et à l’école Polytechnique, analyse la démarche présidentielle.

« Un grand nombre de nos concitoyens ont le sentiment que tout va mal, observe cet historien de la politique. Je rencontre beaucoup de jeunes qui doutent de leur avenir et des adultes qui jugent insaisissable la situation générale. En ce rituel de rentrée, au cours duquel chacun se concentre sur des projets avec sérieux, le Président de la République prend une initiative surprenante, totalement inédite, un essai. » Bien entendu, les tacticiens du café du Commerce vont deviner dans cet élan des arrières pensées diaboliques. Il est vrai que Machiavel demeure une référence pour tout homme d’Etat qui se respecte. Mais faut-il partout voir la main du diable ? 

« Les protestants, dont je suis, seraient mal fondés à contester une initiative dont le caractère synodal n’échappe à personne, estime Nicolas Roussellier. Lecteur de Paul Ricœur et familier de la culture de la Réforme, Emmanuel Macron explore les possibilités d’un rapprochement des points de vue, d’un compromis favorable au bien commun. Sous cet angle, on peut considérer qu’il est fidèle à lui-même. Pour dire les choses autrement, le Président veut faire prendre conscience aux Français que nous traversons ce qu’il appelle une « multi-crise » dont il n’est objectivement pas responsable – je pense à la guerre en Ukraine, à la situation au Niger, au réchauffement climatique, aux émeutes dans les banlieues – et qu’il est urgent de trouver des points d’accords. Je pense que, sur ces points, il a raison. »

Mais cette initiative s’apparente à un appel à l’Union nationale, une démarche peu ordinaire : en 1914, face à l’agression de l’Allemagne – et l’on doit rappeler que les socialistes, y compris Jean Jaurès, peu de jours avant son assassinat, s’y étaient ralliés ; durant la Seconde Guerre mondiale sous la constante impulsion du général de Gaulle – et Dieu sait s’il fallut à l’homme de Londres énergie, ténacité, courage ; dans un contexte moins dramatique pendant la Première guerre du Golfe, de tels appels ont été lancés.

« En choisissant cette formule, Emmanuel Macron se place sur un registre spécifique, obligeant les formations politiques à se hisser au dessus des clivages, estime Nicolas Roussellier. Sur un certain plan, nous l’avons dit, c’est assez juste, puisque la situation générale est mauvaise, mais dans ce contexte exceptionnel un événement majeur auquel se raccorder fait défaut… Cette dramatisation à laquelle il manque un drame tangible risque donc de passer pour un coup politique. »

On peut noter que la plupart des récipiendaires de la missive ont répondu favorablement à cette invitation – l’incertitude demeure, à l’heure où nous rédigeons cet article, au sujet de la France Insoumise. Mais peuvent-ils endosser la responsabilité de l’échec d’une démarche consensuelle ? Poser la question, c’est répondre. Ils n’auront pas la liberté de s’engager loin, puisque beaucoup de partis politiques aujourd’hui sont traversés par des contradictions spectaculaires, des rivalités personnelles violentes, et n’attirent plus qu’un petit nombre de militants. Mais leur accord est tout de même un signe positif. Au fond, c’est ailleurs que le bât blesse.

Comme il arrive souvent, quand il use du « en même temps », le président Macron donne l’impression de tromper le monde – à tort ou à raison. En affirmant que l’on peut « converger sans renoncement », n’invente-t-il pas l’impossible ?

On le sait, le propre d’un compromis c’est bel et bien d’obliger les protagonistes qui s’y impliquent à abandonner une partie de leurs revendications ou de leurs convictions. Ce n’est peut-être qu’un détail, mais il traduit le regard très particulier que le chef de l’Etat porte sur le fonctionnement de notre vie politique. « Certains désaccords sont d’une nature insurmontable, analyse Nicolas Roussellier. Tout n’est pas délibératif dans une démocratie. Et il ne serait d’ailleurs pas sain de voir disparaître les oppositions de points de vue dans un mélange sans repère. De surcroît, la méthode est présentée d’une manière déroutante. Emmanuelle Macron dramatise d’un côté, mais de l’autre il organise une rencontre qui ne se déroulera pas à l’Elysée, suivant une formule qui le place au même niveau que la Première ministre ou des élus de moindre rang – ce qui est contraire à l’esprit des institutions – selon des modalités qui ressemblent à un séminaire d’entreprise. » Il n’est pas interdit d’être simple et sincère.