Rencontré à Abidjan au mois de décembre 2022, le professeur Bony Guiblehon est une référence académique en matière de recherches en sciences sociales des religions en Côte d’Ivoire. Dans le premier volet de cet entretien, il retrace quelques éléments de son parcours, et partage son intérêt pour les recompositions évangéliques en cours dans son pays.

Professeur Bony Guiblehon, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Bony Guiblehon, professeur à l’Université de Bouaké (Université Alassane Ouattara). Je suis aussi chercheur associé à l’Institut des Mondes Africains (IMAF) et je travaille sur les questions religieuses, mais aussi de laïcité. J’ai fait ma thèse de doctorat de sciences religieuses à l’EPHE à Paris en anthropologie avec le professeur Michael Houseman.

Sur quoi portait votre thèse ?

Soutenue en 2004, cette thèse portait sur les associations initiatiques en pays Wè, les hommes-panthères. Elle a été publiée (1). Les jeunes hommes passent entre 7 et 12 mois en brousse, reclus loin du village, habillés en panthères. Ils vivent alors une existence en marge des codes établis, notamment en matière sexuelle. Cette société initiatique existe toujours aujourd’hui. Elle est caractérisée par la tension entre violence et séduction, dans une relation dialectique qui participe, au final, à la stabilité de la société. Les hommes-panthères sont suscité des réactions antagoniques de la part des Églises. Ils véhiculent tout un imaginaire.

Quels sont vos autres terrains de recherche ?

J’ai travaillé aussi sur la dynamique des masques en Côte d’Ivoire. Les masques ne sont pas que des objets d’art. Ils sont des objets médiateurs entre le divin et l’humanité, ils revêtent une fonction sociale importante, apportent des éléments de régulation dans la société Wè. Lorsqu’il y a conflit, ces masques interviennent en première ligne sur les questions de justice. Ce sont aussi des instruments de pouvoir. Je me suis intéressé en parallèle à la question évangélique, pentecôtiste, qui est centrale aujourd’hui dans la réalité religieuse vécue des Ivoiriens. La Côte d’Ivoire compte beaucoup de nouvelles Églises. Je consacre une partie de mes recherches aujourd’hui à ces terrains, en particulier le parcours de certains pasteurs et prophètes qui ont émergé dans l’histoire religieuse récente de la Côte d’Ivoire. 

Quels exemples pourriez-vous citer ?

Le paysage évangélique, pentecôtiste, prophétique de Côte d’Ivoire s’est énormément diversifié et développé depuis trente ans. La figure de référence, encore aujourd’hui, est le pasteur et prophète ivoirien Kakou Séverin (1968-2001), à la tête du Ministère de la Puissance de l’Évangile (MPE). Très respecté, il a été une référence pour beaucoup. Il a aussi entretenu une relation assez importante avec le milieu politique, il a accompagné le président Gbagbo, avant et après sa prise de pouvoir. Il est mort dans un accident tragique, mais a inspiré beaucoup de jeunes qui prolongent aujourd’hui son héritage. La Côte d’Ivoire compte aujourd’hui de nombreux ministères évangéliques influents, qui se déploient dans le pays mais aussi à l’international. Je pense au prophète Kodja Guy Vincent, par exemple, ou au prophète Jean-Marie Domoraud (Église Glorieuse Internationale), ou encore Mohammed Sanogo, des Églises Vases d’Honneur. L’évangélisme ivoirien est porté par une jeunesse qui aspire à faire entendre sa voix. J’ai eu l’occasion d’en parler à Jean-Luc Mouton, pour une vidéo qui est disponible sur Regardsprotestants (2). Il s’exporte aussi beaucoup. En région parisienne, londonienne, mais aussi au Canada, aux Etats-Unis…

Vous encadrez des étudiants ?

Comme je travaille sur ces questions, j’ai été amené à mieux formaliser les choses et instituer récemment un Master de Sciences sociales des religions à l’Université de Bouaké (Université Alassane Ouattara). C’est la première structure de ce type mise en place dans une université de Côte d’Ivoire. Beaucoup d’étudiants travaillent sur des questions religieuses aujourd’hui, et le Master n’a pas de mal à recruter ! Nous avons une équipe de trois/quatre enseignants qui ont fait leur thèse sur les questions religieuses. Le développement de cette filière de recherche est prometteur. Nous souhaitons mieux accompagner les étudiants, jusqu’en thèse, et développer des partenariats. (à suivre)

(1) Bony Guiblehon, Les hommes-panthères: Rites et pratiques magico-thérapeutiques chez les Wè de Côte d’Ivoire, Paris, L’Harmattan, 2007

(2) Bony Guiblehon, vidéo « Les nouvelles Églises africaines », portail Regardsprotestants, 13 août 2022

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