Le concept d’État de droit a été progressivement élaboré par les plus éminents philosophes et juristes, de Locke à Kelsen, en passant par Rousseau et Montesquieu. Raymond Carré de Malberg (1861-1935) l’a défini comme « un État qui, dans ses rapports avec ses sujets et pour la garantie de leur statut individuel, se soumet lui-même à un régime de droit, et cela en tant qu’il enchaîne son action sur eux par des règles, dont les unes déterminent les droits réservés aux citoyens, dont les autres fixent par avance les voies et moyens qui pourront être employés en vue de réaliser les buts étatiques. »

Le principe premier est donc de protéger l’individu et de garantir ses libertés : l’État lui-même est soumis au droit. Il s’agit de prévenir toute velléité d’un État trop envahissant, voire totalitaire, qui ne reconnaîtrait (au travers de l’un de ses organes) que les seules règles qu’il voudrait bien se donner. Si l’État de droit n’est pas « intangible », c’est en ce qu’il s’est renforcé du droit international, européen en particulier, et de la jurisprudence des cours européennes.

Les juges, indépendants en démocratie, entendent donner corps à ces principes protecteurs. Les contempteurs de l’État de droit leur opposent la souveraineté populaire exprimée par le vote. Les élus auraient ainsi, au nom d’une majorité – fût-elle éphémère ou même manipulée –, pleins pouvoirs et le droit serait une entrave à l’action publique. Argument plus vil : les juges n’obéiraient qu’à une certaine idéologie. Cette thèse populiste réduit la démocratie à l’élection et fait fi de la construction complexe et équilibrée des principes d’organisation des sociétés de liberté. Elle conduit à abandonner le pouvoir à un groupe d’individus, voire à un seul, et pour le malheur de tous.

Jean-Marc Defossez, magistrat, pour « L’œil de Réforme »

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