Un, deux, trois… Soleil noir ! Au fil des années Marine Le Pen a tant et si bien fait croire qu’elle n’était pas d’extrême droite et que son parti respectait les principes et les valeurs (oh mon dieu, comme ce dernier terme est désormais dangereux, qui respire l’accommodement, la géométrie variable) de notre République, a tant et si bien grimé son discours et sa personne, que la vague la porte jusqu’à la porte du pouvoir. Et nous voici comme des enfants qui, frappant les murs jusqu’à trois, tournent le dos à la malice.

Pourquoi cet intérêt pour le RN ?

Une fraction des élites – économiques, universitaires, pour ne rien dire des milieux médiatiques –  non seulement se résigne, mais se rallie. La musique se répand que le Rassemblement national, s’il parvenait aux responsabilités, ne pourrait pas appliquer son programme, en particulier dans le domaine financier. Comme si telle était la question principale. Tandis que les sondages prédisent aux partisans de toutes les tendances d’extrême droite réunies un score avoisinant 40 %, Didier Sicard, professeur de médecine, ancien Président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et protestant tenace, analyse la façon dont nos concitoyens se laissent fasciner par le Rassemblement national.        

« L’air du temps me rappelle ce que j’ai pu savoir des années 40, déclare-t-il en préambule. Un peuple, perdu par mille confusions, s’avance vers ce qui le rassure… Au sens pétainiste du terme. Les valeurs les plus archaïques, celles qui donnent l’impression de la plus grande sécurité, gagnent les esprits. Nos concitoyens paraissent croire qu’avec le RN ils n’auront plus de problèmes et se laissent bercer par l’illusion régressive de pouvoir ainsi se tenir chaud. Mais, semblable au loup de Charles Perrault, le parti de Marine Le Pen masque de plusieurs épaisseurs sa peau de canidé pour tromper les électeurs. »

L’apparence du lisse

Gabriel Attal, égrenant les revirements récents du RN – et croyant par ce moyen le discréditer – ne fait que décrire les mensonges successifs dont se parent cette formation politique : elle ne serait plus contre l’Europe, elle ne serait plus contre l’euro, elle n’aurait même rien contre les musulmans mais serait simplement hostile aux islamistes, enfin, cerise sur le gâteau, elle ne serait plus antisémite. « Le RN et ses candidats récupèrent tout ce qui est bon, gentil, ce qui ne dépasse pas, raille Didier Sicard. Il n’est pas question, pour moi, de s’en prendre au physique de quiconque. Je veux simplement remarquer que la façon dont se présente Jordan Bardella me rappelle les mannequins de matière plastique rose : on se demande s’il y a quelque chose à l’intérieur d’un personnage qui se donne l’apparence lisse. »

Mais derrière ces personnages qui veulent rassurer, se trouvent, cachés comme au coin d’un bois, les bonnes vieilles figures de l’extrême droite éternelle. Dans un film qu’il conviendrait de revoir aujourd’hui, « Chez nous », Lucas Belvaux fait dire par un médecin d’extrême droite (incarné par André Dussollier) à un jeune militant habillé en néo-nazi : « On ne te demande pas de renoncer à tes idées, mais de mettre un costume et une cravate. » A la sortie du film, des critiques de la presse hostile à l’extrême droite avaient dénoncé un film caricatural. Désolants…

Les manquements des camps adverses

On sait qu’un malheur n’arrive jamais seul. Face à la menace, deux camps s’opposent : les uns considèrent qu’il n’est qu’une seule politique économique, les autres que cette même politique économique aggrave les inégalités. C’est un débat qui dure, qui dure, qui dure. Depuis quand ? Cette question seule pourrait faire l’objet d’une cinquantaine de débats.

Pour Didier Sicard, il est essentiel que ces deux camps prennent conscience de leurs propres manquements : « La politique ultralibérale est actuellement plus dramatique pour les déshérités qu’elle ne l’était il y a trente ou quarante ans. Gagnée par un appât du gain sans limite, elle a pour seule ambition l’accumulation de l’argent, pour seul repère les fonds d’investissement. Protéger notre pays, asseoir son avenir sur des bases solides, garantir ne serait-ce qu’une partie de notre souveraineté, voilà qui n’a plus de sens pour ses partisans. D’un autre côté, une certaine gauche, abandonnant la cause des plus pauvres d’entre nous, milite pour des bouleversements qui laissent pantois. J’en veux pour preuve l’opposition d’un certain nombre de parlementaires de cette famille à l’interdiction des bloqueurs de puberté pour les enfants. »

Ne nous laissons pas gagner par le défaitisme qui nous ferait croire que Brecht a écrit : « L’irrésistible ascension d’Arturo Ui. » Répétons-le : jamais l’extrême droite n’a été favorable aux déshérités. Mais sachons reconnaître enfin les manquements d’une dérégulation tous azimuts. A la limite, si l’on ose écrire, il ne s’agit pas de savoir si cette politique ultralibérale est bonne ou mauvaise.

Quand le président de la République et son Premier ministre invoquent les succès qu’ils ont obtenus dans ce domaine, ils ont raison. Mais ils font fausse route sur un autre terrain : celui du politique en n’expliquant pas ce qu’ils veulent faire du « nous ». C’est cet espace abandonné que Marine Le Pen et le RN occupent.  

Admettre que l’on s’est trompé, n’est-ce pas le premier pas sur le chemin de la sagesse ? On se souvient qu’évoquant une situation où nous avions l’impression d’avoir manqué de fermeté sur des principes essentiels, Didier Sicard nous avait répondu : « le courage, c’est dans les cent derniers mètres qu’il faut en avoir. » Il est encore temps !