Il était passionné par la mer. Il a pris le large, à l’âge de 93 ans (1). Reste un sillage singulier, qui a traversé plusieurs courants de l’histoire du christianisme contemporain.
Issu d’une grande famille pastorale bretonne, pasteur baptiste lui-même, Robert Somerville a été de tous les combats, durant cinq décennies, au service d’une foi chrétienne conciliant annonce évangélique, action solidaire, unité fraternelle et dialogue.
Il était porteur d’une fibre sociale et d’une bienveillance, dans les rapports humains, que salua Philippe Malidor dans un hommage publié dans l’hebdomadaire Réforme (2).
Il forgea son sens de la pédagogie et son goût du collectif en animant des camps de jeunesse à Trémel (Côtes d’Armor), avant qu’ils soient déplacés à Plougasnou. C’était avant la fermeture en 1974 de la Mission évangélique de Trémel, en Bretagne, dans un contexte d’exode rural et de redéploiement protestant vers les villes.
Plus tard, une fois la vocation pastorale affirmée, il devient le premier pasteur de l’Église baptiste d’Antony (Hauts-de-Seine). Enseignant passionné, il présida aussi le conseil de la Fédération Baptiste (FEBBF), à l’époque où cette dernière déployait une évangélisation volontariste, et une attractivité significative. Il a beaucoup plus transmis par l’oral que par l’écrit. Il n’en est pas moins l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Accrochez-vous à la grâce de Dieu (1998), où il résume en termes simples l’essentiel de ses convictions chrétiennes. Il a également signé de nombreux articles de réflexion théologique et pastorale, notamment dans les magazines Croire et Vivre et les Cahiers de l’école pastorale.
Il manifestait le souci d’articuler foi et intelligence, au service d’une expérience solidaire et fraternelle. Pour lui, la solidarité « est une forme de piété », comme il l’affirmait dans un article programmatique publié en 2000 (3). Homme de dialogue, sensible aux richesses de la diversité chrétienne, il avait notamment rédigé la présentation de Rendre témoignage au Christ, comité mixte baptiste-catholique en France (éditions du Cerf, 1992, 102 pages), puis co-dirigé l’ouvrage collectif intitulé En compagnie de beaucoup d’autres, Guide théologique du protestantisme contemporain (Les Bergers et les Mages, 1997, 352p). Une expertise inter-ecclésiastique qu’il mit à profit lors d’un mandat comme vice-président de la Fédération Protestante de France (FPF).
Médiateur francophone pour Martin Luther King et Billy Graham
Pasteur engagé, pédagogue d’une foi incarnée, concrète et réfléchie, auteur capable de prendre de la hauteur, amateur d’histoire du protestantisme (4)… Autant d’ingrédients qui l’ont conduit à s’investir, au-delà de l’Église locale ou de sa propre fédération d’Églises, dans divers œuvres et réseaux protestants évangéliques, dont l’ASEV (Action Sociale Évangélique), dont il est cofondateur, ou le centre de formation des Cèdres, à Massy-Palaiseau (Hauts-de-Seine).
Longtemps professeur d’éthique à la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine (Yvelines), une Faculté qu’il a aussi présidée, ce petit-fils d’un missionnaire gallois, formé trois ans à Glasgow, savait élargir son champ de vision au-delà d’un certain microcosme protestant. Ses capacités bilingues lui donnèrent ainsi l’occasion de servir de traducteur / médiateur, en France, à deux figures faîtières du protestantisme mondial au XXe siècle, à savoir les pasteurs baptistes Martin Luther King et Billy Graham.
Robert Somerville traduit Martin Luther King lors de sa courte visite en France en octobre 1965. Ce dernier s’exprime alors à l’invitation de la Fédération Protestante de France (FPF). A la Maison de la Mutualité, le Prix Nobel de la Paix 1964 parle sur « Un mouvement chrétien dans un âge révolutionnaire ». La traduction par Somerville, interrompue par de nombreux applaudissements adressés au Dr Luther King Jr., fait mouche. Philippe Malidor, dans Réforme, rapporte ces propos de Robert Somerville : « il m’était facile de le traduire parce qu’il écrivait ses discours in extenso. Je retiens de lui sa puissance de raisonnement et de communication, il croyait à ce qu’il disait ».
Puis c’est encore à Robert Somerville que l’on fait appel, vingt-et-un ans plus tard, pour traduire en français l’évangéliste globe-trotter Billy Graham, revenu en France pour une très spectaculaire campagne d’évangélisation tenue au Palais Omnisport de Paris-Bercy, en septembre 1986. « Le grand JE SUIS », « La croix », « Le fils prodigue » sont autant d’exhortations de Billy Graham transposés en langue française par Robert Somerville.
Ces traductions de Martin Luther King et de Billy Graham au service de la francophonie résument, en un sens, un fil directeur qui traverse la vie du pasteur Somerville : le choix du vent du large, plutôt que le confinement dans une « Église bocal » repliée sur elle-même.
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(1) Un service d’actions de grâce est organisé le 14 juillet 2023 dans l’Église baptiste de Morlaix (Finistère).
(2) Philippe Malidor, « Robert Somerville, Un homme de bienveillance », Réforme n°3478, 6 septembre 2012, p.20.
(3) Robert Somerville, « La solidarité dans l’église », mensuel Construire Ensemble, novembre 2000, p.5.
(4) Il était membre de la SHDBF, société d’histoire baptiste basée à Paris. La Société d’Histoire et de Documentation Baptistes de France (SHDBF) est présente sur Facebook et twitter et propose un blog : http://shdbf.hautetfort.com