Le pasteur Stéphane Lauzet a été un architecte majeur de la création du Conseil national des Evangéliques de France (CNEF), officialisé en 2010. Codirecteur du CNEF jusqu’en 2011, il revient aujourd’hui sur le processus de construction de ce grand réseau protestant évangélique dans l’ouvrage « Bâtir des ponts, Regards sur l’origine du CNEF (1995-2010)« . Il nous partage aussi sa réflexion sur les enjeux de la francophonie comme espace d’échanges.

Stéphane Lauzet, pouvez-vous vous présenter ?

Après mes études à la Faculté libre de Théologie évangélique de Vaux-sur-Seine, j’ai été pasteur de paroisse pendant une vingtaine d’années au sein de l’Union des églises Evangéliques libres de France, en Charente puis à Nîmes. 

En 1995, je suis devenu Secrétaire général de l’Alliance évangélique française et, à ce titre, j’ai travaillé, entre autres, à la mise en place du Conseil national des Evangéliques de France (CNEF). J’en ai été le codirecteur depuis sa fondation officielle, le 15 juin 2010 jusqu’en août 2011. J’ai ensuite rejoint le SEL, une association protestante de solidarité internationale, pour travailler à la mise en place du réseau de délégués du SEL, avant de prendre ma retraite il y a une dizaine d’année. J’ai toujours gardé divers engagements tant au niveau de l’Eglise locale que dans plusieurs associations de notre monde protestant évangélique. Je suis marié avec Geneviève depuis 52 ans et nous avons 3 enfants et 10 petits-enfants. Nous habitons dans le Gard, à Vergèze, depuis une dizaine d’année.

Pourquoi avez-vous écrit « Bâtir des ponts » ?

Depuis un certain temps j’avais constaté l’ignorance, même chez certains responsables du CNEF, de son histoire. Ils semblaient n’avoir aucune conscience du chemin que leurs prédécesseurs avaient dû faire et du temps qu’il avait fallu pour parvenir à la mise en place du CNEF. C’est vrai que les gens d’Eglise, eux aussi peuvent avoir de la difficulté à se considérer comme héritiers. Ils peuvent oublier facilement que les uns et les autres nous sommes au bénéfice du travail accompli par d’autres avant nous : nous sommes précédés et nous nous inscrivons dans une chaîne dont chacun est un maillon. En discutant de cela avec plusieurs personnes, petit-à-petit je me suis laissé convaincre de coucher sur le papier cette aventure, n’étant pas le plus mal placé, semblait-il, pour apporter cette contribution à l’histoire de l’Eglise protestante évangélique en France. Ainsi, ce qui devait être un article est vite devenu un livre.

Connecter, inspirer, informer représenter 

Vous avez longtemps conduit l’Alliance Evangélique. Dans quelle mesure voyez-vous aujourd’hui le CNEF comme un continuateur de l’AEF ?

Connecter, inspirer, informer représenter : ce sont les 4 verbes qui définissent aujourd’hui les objectifs du CNEF. Ils disent avec d’autres mots ce qu’étaient déjà les objectifs de l’Alliance évangélique. Une des avancées majeures, c’est que le CNEF s’appuie réellement sur la majorité des dénominations protestantes évangéliques et il est donc complétement légitime dans ses actions. La mutation qui s’est opérée débouche sur un développement qui permet de gagner en visibilité, lisibilité et efficacité. Il constitue un antidote à l’éparpillement du microcosme évangélique, facilite les interactions entre ses diverses composantes, pour mieux travailler ensemble au progrès de l’Evangile dans notre pays.

Peu d’acteurs protestants ont autant que vous accumulé d’expérience en matière construction de ponts. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les défis de la diversification évangélique, les nouvelles Eglises de Réveil, l’apport de l’outre-mer ?

Je crois que nous sommes face à des questions d’ordre culturel et d’ordre théologique avec des éléments incontestablement positifs et d’autres plus problématiques.  Du lieu d’où je suis, je me risque à formuler 4 remarques et si d’aventure je fais erreur, je ne demande qu’à être instruit.

  • D’abord, ces communautés afro-caribéennes apportent une expression plus spontanée, plus libérée, plus joyeuse de la foi et aussi plus solidaire : en ce sens elles aident à l’intégration de leurs fidèles en métropole, dépoussièrent une piété  quelquefois formaliste et peuvent , à ce titre, être prise en exemple.
  • Ensuite, on peut s’interroger dans certains cas, sur leur modèle de gouvernance et observer au minimum, une tendance vers un système pyramidal, loin de nos idéaux démocratiques ou congrégationalistes.
  • Par ailleurs, pour certaines d’entre elles, il est clair qu’elles sont marquées par la théologie de la prospérité. Le succès qu’elles remportent ne fait que renforcer leur indépendance.
  • Enfin, pour ce qui concerne les nouvelles Eglises de réveil, l’accent qu’elles mettent sur les manifestations de l’Esprit et son rôle vient questionner l’identité évangélique même.

On voit donc bien alors la complexité de la tâche : construire une relation avec des communautés culturellement marquées, qui dans certains cas se positionnent comme des refuges, revendiquent leur indépendance avec des pasteurs auto-proclamés et dont la théologie s’éloigne de ce que l’on considère comme la norme, avec en arrière-plan la question de la formation de leurs cadres et celle du rejet de l’étranger de plus en plus présente dans notre société : tout cela demande de l’énergie, du courage, de la détermination et du temps.

La francophonie n’est pas directement évoquée dans votre livre. S’il fallait lui consacrer un chapitre, quelles pistes évoqueriez-vous ?

A ma grande honte, j’avoue que c’est une erreur de ma part d’autant que j’ai été pendant quelques années chargé de mission pour la Francophonie par l’Alliance évangélique mondiale. Merci donc de me donner l’occasion de me rattraper. S’il fallait donc écrire quelque chose sur cette question, je partirai du constat suivant : le travail missionnaire a engendré des Eglises filles qui ont grandi et sont devenues des Eglises sœurs, d’une grande vitalité et elles-mêmes missionnaires.

De fait, 90% des évangéliques francophones sont en Afrique et il est indispensable d’opérer un rééquilibrage dans les relations puisque le centre de gravité du christianisme a basculé au Sud.

Ce rééquilibrage devrait nous conduire, tous autant que nous sommes, à modifier notre fonctionnement, à abandonner le schéma assistant/assisté et définitivement passer à la mise en place de réels partenariats.

Au rendez-vous du « donner et du recevoir »

Ensuite, il faut garder présent à l’esprit que nous avons tous, en tant que membre de l’Eglise universelle, une responsabilité et des devoirs les uns vis-à-vis des autres. La Francophonie regorge de compétences et chacun se doit de les partager. L’indépendance et l’autonomie ne nous dispensent pas de chercher à manifester concrètement notre communion : c’est une exigence spirituelle non optionnelle ! Nous sommes attendus au rendez-vous du donner et du recevoir, selon l’heureuse formule de Léopold Sédar Senghor.

Enfin le christianisme évangélique francophone fait face à plusieurs défis (comme par exemple la sécularisation de la société, la dégradation des mœurs, la superficialité de beaucoup de chrétiens et le manque de fondement bibliques, les problèmes économiques, sociaux, éthiques, la désunion des chrétiens, la montée d’autres religions avec notamment le développement de l’islam et sa volonté d’impérialisme, le retour aux religions traditionnelles …). Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons les relever. Notre diversité culturelle et nos éclairages respectifs, portés par une langue commune, sont des atouts de poids pour assumer correctement notre mission et exprimer la réalité de l’amour chrétien, la fraternité et l’interdépendance. 

De façon prioritaire, je me demande s’il ne faudrait pas développer les relations et favoriser les échanges entre les Instituts de formations francophones qui existent, créer des synergies, mettre en place des programmes d’échanges, repérer les besoins pour y apporter des réponses concertées et adaptées. Sans fausse culpabilité ni arrogance, accepter de recevoir les uns des autres…

(1) Stéphane Lauzet, Bâtir des ponts, Regards sur l’origine du CNEF (1995-2010), Excelsis, 2024