Le problème du financement
Après un premier Festival de Gospel en 1994, sous l’impulsion de Narcisse d’Almeidea, puis une seconde mouture, le Gospel Festival de Paris organisé depuis 2003 sous l’égide du pasteur David Goma (église parisienne du Centre du Réveil Chrétien), les différents festivals du Gospel organisés peinent à se pérenniser. La faute à qui ? En île-de-France, un des éléments du problème est la difficulté d’accès à des espaces scéniques abordables. Pour des groupes de musique Soufi, se produire à l’Institut du Monde Arabe (IMA) ou à l’Institut des Cultures d’Islam (ICI) ne pose guère de difficulté, grâce à la manne du contribuable (et quelques aides extérieures) qui finance ces vastes espaces dédiés à la découverte des cultures et spiritualités du Maghreb et du Mashrek. Les politiques municipales n’ont pas, pour l’heure, d’équivalent, même lointain, à proposer aux « cultures Gospel », nourries des francophonies protestantes créolisées qui contribuent aujourd’hui à la vie culturelle et religieuse de la métropole.
Qui influence qui ?
Un autre enjeu posé aujourd’hui par l’essor du Gospel est la question, soulevée dans les églises, du malentendu entre choristes « convertis », en large majorité évangélique, à visée souvent prosélyte, et attentes sécularisées du public, avant tout en demande d’une expérience musicale singulière. Qui influence qui ? En se tournant vers de larges publics sécularisées, la musique Gospel tend-elles à se folkoriser et perdre sa signification spirituelle ? Ou est-ce la dynamique inverse qui prime, à savoir une hymnologie profondément chrétienne qui atteint de larges publics païens et appuie une évangélisation par la musique ? Quand Edgar Vandenbroucque a recruté dans les petites chorales d’églises franciliennes en vue de constituer la New Gospel Family, il a exigé que tous les choristes soient croyants, convertis (protestants, évangéliques, catholiques). Au yeux des interprètes, il s’agit d’une oeuvre d’évangélisation. Mais pour le public ? A l’intérieur même des groupes, la même tension émerge, entre approche religieuse et prosélyte, et approche avant tout artistique et culturelle. Comme le résume Rebbie Nkashama, « Chanter du gospel. Un art pour certains. Un véritable ministère pour d’autres »(1).
Mixité sociale et culturelle
L’enjeu de la mixité sociale et culturelle entre choristes d’origine caribéenne, africaine, métropolitaine se pose aussi. Observe-t-on, sur la scène francilienne, le même type de clivage entre White Gospel et Black Gospel qu’on analyse classiquement aux Etats-Unis ? En première hypothèse, c’est un « non » nuancé qu’il convient d’apporter, mais sous réserve d’inventaire ! A un autre niveau, cet enjeux de la mixité se retrouve naturellement dans le dialogue et la circulation entre nouvelle culture gospel et culture musicale « classique » des métropolitains. Ces transversalités et ces hybridations ne vont pas de soi : l’essentialisation, l’assignation identitaire, y compris en termes de goût musicaux, peut jouer, comme l’illustrent ces réflexions très ambivalentes d’un enseignant, recueillies dans le magazine Le Point :
« Lundi, j’évoquais l’histoire des arts avec un collègue de musique, qui doit traiter le XVIIIe siècle en même temps que moi avec les 4e. Il m’a immédiatement répondu, comme si cela allait de soit, qu’il étudierait le gospel. Je m’attendais à ce qu’il parle de Mozart ou de Haydn ! Sa réponse m’a choquée car, implicitement, sans même que ce soit calculé ni même assumé, il postulait on ne va pas leur faire faire du Mozart, ça ne va pas les intéresser, alors que le gospel, c’est leurs racines. » (2)
Tel qu’il est rapporté, cet épisode illustre une double pente : d’une part, l’assignation identitaire d’un public scolaire de Seine-Saint-Denis à la culture gospel. D’autre part, un mépris à peine voilé de l’enseignant formé à la culture classique (Mozart, Haydn), qui fait écho au soupçon de « nivellement par le bas » évoqué juste après dans l’article…