Le souverainisme est à la mode, notamment au Burkina Faso, « pays des hommes intègres ». Dans le domaine politique, il se traduit, en 2025, par les priorités politiques définies par le chef de l’État, le très populaire Ibrahim Traoré.
On entend par « souverainisme » une volonté de reprendre le contrôle sur ses ressources, de réduire les dépendances et les vulnérabilités à l’égard de l’extérieur. Il s’agit, dans ce but, de responsabiliser et d’autonomiser la population, actrice de sa prospérité. Ce souverainisme existe aussi dans le domaine religieux.
A Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, le grand représentant du souverainisme missionnaire, en terrain chrétien, n’est autre que le pasteur pentecôtiste le plus renommé du pays, dénommé Mamadou Karambiri (né en 1947), qui a aussi le titre d’apôtre (1). Bien avant que ce soit la mode, il a développé, à partir de 1987, une « Mission Intérieure Africaine » faite par, et pour les Africaines et les Africains. Ce souverainisme missionnaire, dans les années 1980, était assez rare. Les missions venues d’Europe ou des Etats-Unis se targuaient encore souvent, à l’époque, de porter le fardeau missionnaire pour l’Afrique. Mamadou Karambiri, économiste et ancien directeur général de la plus grande entreprise publique du Faso (à l’ère de Thomas Sankara) a défendu, dès l’origine de son appel, un souverainisme missionnaire qui s’est avéré visionnaire. On peut le définir comme une affirmation d’un apostolat chrétien porté depuis l’intérieur des sociétés africaines, qui vise non seulement l’expansion spirituelle mais aussi une transformation sociale autonome, sans dépendre à l’excès des modèles occidentaux.
La démarche est exempte de xénophobie : grand voyageur, habitué des réseaux francophones, et au-delà, Mamadou Karambiri aime aussi accueillir. Il le fait très bien, avec générosité, humour et disponibilité. Le patriarche pentecôtiste du Faso et de l’Afrique francophone accueille aussi volontiers les partenariats, dès lors qu’ils ne cachent pas d’instrumentalisation ou de paternalisme néocolonial. L’accent ne porte pas sur le rejet de l’autre, mais au contraire sur les conditions d’une rencontre authentique, à partir d’une autonomisation des moyens qui permet de remplacer la relation inégalitaire par un partage d’égal à égal. Pour y parvenir, la ressource puise dans les immenses forces vives d’une jeunesse africaine douée, motivée, décomplexée, et largement socialisée dans les Églises. Prête à partir en mission, dans toute l’Afrique, et au-delà.
Sur les dix dernières années, cet axe souverainiste, nourri à partir d’une robuste argumentation biblique, est visible à travers plusieurs dimensions de l’action de Mamadou Karambiri, de son épouse la très talentueuse pasteure Hortense Karambiri, et du CIE/MIA (3). Dix ans après une première rencontre sur place, en 2015, le fondateur de cette œuvre a partagé, lors d’une nouvelle rencontre, début décembre 2025, quelques éléments de son bilan décennal.
Année des « conquérants moissonneurs » (2025)
En matière d’implantations, l’œuvre missionnaire qu’il a initiée depuis Ouagadougou compte désormais plus de 1400 Églises locales, dont 400 au Burkina Faso et 100 dans la seule capitale du Faso. Déclarée l’année des « conquérants moissonneurs », l’année 2025 a accueilli, à dater de début décembre 2025, 26 nouvelles Églises locales rattachées au CIE/MIA, ce qui revient à une implantation réussie tous les 14 jours. Cette stratégie prosélyte d’ouverture d’Eglises locales s’inscrit dans une dynamique de longue durée axée sur la mission. Au cours de la dernière décennie, malgré les graves turbulences qu’a connu le pays, le CIE/MIA a consolidé et étendu son réseau d’églises locales et de missions au-delà du Burkina Faso, en Afrique (Niger, Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée, Ghana, RDC, etc.), jusqu’en Afrique anglophone -comme en Tanzanie et au Kenya- et en Europe et Amérique du Nord.
Ce déploiement n’est pas subordonné à des structures missionnaires étrangères. il s’opère avec ses propres cadres et pasteurs locaux, sur la base d’un principe ainsi rappelé par l’apôtre Karambiri : HSO, pour « Humilité, Sainteté, Obéissance ». Le bling-bling ? Non merci. Les disciples formés à l’école de « Papa Karambiri » préfèrent la discipline à la brillantine. « Ici, il n’y a pas de star », rappelle le fondateur. Sage avertissement, face à la mode des prophètes auto-proclamés, adeptes du « marketing de soi ».
Le CIE/MIA a par ailleurs continué à structurer des départements spécialisés (évangélisation individuelle, prisons, hôpitaux, jeunes, etc.), et a développé des programmes de formation biblique et ministérielle, en misant de plus en plus sur les réseaux sociaux et les médias numériques, désormais incontournables. Dans un contexte international et sahélien tendu, ces initiatives visent plus que jamais à former des leaders locaux autonomes, capables de continuer l’œuvre missionnaire sans dépendre de facilitation extérieure. Au-delà de la prédication, l’œuvre du CIE/MIA a renforcé, ces dernières années, ce que d’aucuns qualifient de mission holistique : l’aide sociale est pleinement intégrée à la dynamique missionnaire. Le soutien aux personnes vulnérables, et la solidarité concrète aux populations, est un volet majeur de l’œuvre. Par exemple, le CIE/MIA a mis en place des campagnes de solidarité touchant des milliers de personnes déplacées internes, veuves et orphelins, notamment lors de fêtes comme Noël en 2024, où plus de 5 000 bénéficiaires ont reçu des aides matérielles et alimentaires. La pasteure principale, Hortense Karambiri, coordonne, trois jours par semaine, la distribution de milliers de repas aux prisonniers. Mesure-t-on bien, en Europe, l’ampleur immense d’un tel engagement hebdomadaire au service des réprouvés ? En cette année 2025, le mouvement CIE/MIA a également coordonné une vaste opération de visites et dons dans plus de 50 hôpitaux à travers le Burkina Faso, alliant soutien spirituel et assistance matérielle aux malades et au personnel de santé. De quoi faire taire baisser d’un ton les critiques, y compris dans la sphère évangélique, « milieu compétitif » non dénué de concurrence et de jalousies de toutes sortes (4).
Le torrent d’Ézéchiel
Avec une telle logique d’impact, il n’est pas étonnant, de constater, de visu, une affluence très considérable au culte dominical du siège à Dassasgho (Ouagadougou). Le tabernacle Béthel Israël a rassemblé au moins 8000 à 10.000 fidèles les dimanches 1er et 7 décembre 2025. Sans compter les dizaines de milliers de connections. Enfin, un élément important de la décennie 2015-2025 a été la préparation de la relève, avec la transmission progressive de charges à une nouvelle génération de responsables, à commencer par Dr. Hortense Karambiri, pasteure principale du Tabernacle Béthel-Israël (megachurch principale) cheffe de file de la relève missionnaire du CIE et autrice de nombreux ouvrages. Après avoir guéri en 2020, avec son épouse, de la Covid-19, Mamadou Karambiri n’exclut rien. Pourquoi ne pas vivre jusqu’à 120 ans, âge limite selon Genèse 6 3 (Bible) ? Les sceptiques fronceront les sourcils. Il reste qu’à 78 ans, « Papa Karambiri » affiche une indéniable vitalité et une énergie communiquative. Ses propos, largement tournés vers l’avenir, ne respirent pas la nostalgie, mais l’espoir. Nul doute que les fidèles du CIE/MIA, rencontrés en ces mois de novembre et décembre 2025, plébiscitent ce scénario des 120 ans, tant la figure du fondateur fait l’unanimité. Mais l’apôtre de la mission africaine, désireux de « décoloniser la théologie », n’en prépare pas moins la relève, souhaitant pérenniser la mission au-delà de la première génération, dans une logique de souveraineté interne au mouvement.
Le discours de Mamadou Karambiri est toujours écouté, depuis près d’un demi-siècle, jusqu’au plus haut sommet de l’État burkinabè, et au-delà, par bien des chefs de l’État en Afrique. Il continue à souligner l’importance d’une identité chrétienne normée et structurante, capable de répondre aux défis spirituels, économiques et sociaux contemporains sans renier les valeurs locales. Lors de la Journée internationale d’évangélisation et de mission du 7 mars 2025, il souligne ainsi la nécessité de former des disciples et d’impulser une mission qui engage les chrétiens dans leur propre milieu. Afin, dit-il, d’irriguer comme le torrent d’Ézéchiel (cf. Ézéchiel 47) : le filet d’eau, dans la prophétie biblique, devient un immense torrent qui arrose de nombreux arbres fruitiers. Il finit par raviver la mer morte, faisant abonder la vie. Une vision inscrite dans la perspective plus large du « Royaume » qu’aurait prêché un certain…. Jésus de Nazareth. Féru de pédagogie et de slogans mobilisateurs, le fondateur du CIE/MIA définit chaque décennie par une formule. La séquence actuelle est ainsi décrite comme la « décennie de l’expansion gracieuse » (2020-2030). Une expansion qu’il ne restreint pas à l’oeuvre missionnaire elle-même, mais qu’il applique aussi aux sociétés, aux Etats, et aux économies africaines. Dans les travées du Tabernacle Béthel Israël de Ouagadougou, cette rhétorique performative fait vibrer toutes les générations, au service d’une Afrique postcoloniale qui croit, aujourd’hui, que « son temps est venu ». Plus que jamais, à suivre !
(1) Lire « Mamadou Karambiri, ex-musulman devenu « apôtre » au Burkina Faso », Fil-info Francophonie, Regardsprotestants, 7 novembre 2014, et « Changer de religion ? Entre islam et christianisme au Burkina Faso », Fil-info Francophonie, Regardsprotestants, 4 mars 2016
(2) Centre International d’Évangélisation / Mission Intérieure Africaine, fondé en 1987 par Mamadou Karambiri (Burkina Faso)
(3) Hortense Karambiri, l’expertise et la foi », Fil-info Francophonie, Regardsprotestants, 29 juillet 2918
(4) Jörg Stolz et alii, Le phénomène évangélique, analyses d’un milieu compétitif, Genève, Labor et Fides, 2013
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