À quelle problématique répond votre projet d’agriculture urbaine à Bangui ?

La Centrafrique est un pays enclavé. La plupart des produits que nous consommons à Bangui viennent du Cameroun et du Tchad. Lors de la crise politique de l’automne 2020, les deux voies de ravitaillement de Bangui ont été coupées par les rebelles. La population était asphyxiée. Cela montre notre état de dépendance et d’insécurité alimentaire. Le Nord du pays dépend aujourd’hui de l’aide humanitaire. Le Sud pratique encore une agriculture vivrière. Il n’y a pas de moyens pour une agriculture industrielle. Donc il faut se donner d’autres moyens. D’où le projet d’encourager les jardins potagers en ville. Nous pouvons nous nourrir nous-mêmes. Chaque foyer de Bangui a un lopin de terre qu’il peut exploiter.

Quelles actions menez-vous sur le terrain ?

Notre association, A9, visite tous les quartiers de Bangui et ses deux communes limitrophes, avec la collaboration des chefs de quartiers, qui sont les premières autorités publiques. Nous identifions avec eux les foyers intéressés les plus pauvres et leur distribuons des kits de culture. Nos trois techniciens agronomes accompagnent les bénéficiaires. À ce jour 270 foyers ont intégré notre programme, ce qui représente environ 3000 personnes. Au bout de trois mois, ils cuisinent déjà leurs récoltes et certains la partagent même avec le reste de leur famille. Certains, plus favorisés, s’y sont mis par eux-mêmes. À terme, nous espérons que les gens pourront vendre leurs surplus sur des marchés. Nous souhaitons aussi nous tourner vers les écoles et créer des jardins collectifs comme j’en ai vus en Alsace. L’idée de partage est très importante dans notre projet.

Comment cette initiative rejoint vos convictions chrétiennes ?

J’ai débuté ma réflexion en France, alors que je préparais ma thèse sur le théologien allemand Jürgen Moltmann. Mon engagement va dans la continuité de sa pensée. Sa notion de libération sociale m’a interpellé. Il porte une théologie de l’action. Il est contre la passivité des chrétiens. Il m’a convaincu que Dieu a mis à notre disposition la force et la sagesse pour pouvoir nous prendre en charge. Je me suis demandé comment je pouvais appliquer tout ça à mon pays qui venait de sortir de la guerre. J’ai voulu impliquer les leaders religieux dans le lancement de l’association. Ils ont une responsabilité immédiate dans cette affaire. Les gens viennent au culte affamés et en repartent le ventre vide. Les prédications doivent en tenir compte. Je crois que l’on doit remplacer le prêche de l’Évangile de la prospérité par celui de ce que l’on peut faire.

Quelles difficultés rencontrez-vous ?

Nous voulons inscrire le jardin potager dans la culture des gens. En France, ce n’est pas péjoratif d’avoir un jardin. Les Alsaciens en sont fiers même quand ils ont des moyens. J’aimerais qu’en Centrafrique les gens n’aient pas honte de mettre les mains dans la terre. Les jeunes peuvent penser que c’est humiliant. Nous voulons leur inculquer, mêmes aux diplômés, l’habitude de jardiner pour manger. Mais à force de médiatisation, il y a déjà un engouement pour notre projet. Je reçois chaque jour des appels de tous les quartiers. Nous aimerions atteindre toute la population de Bangui, mais nous n’avons pas les moyens de le planifier et ne distribuons nos kits qu’au fil des dons. Il suffit de 20€ pour acheter un kit et nourrir une famille.