Après la grande époque des années 1960-80 où explose une chanson québécoise et franco-canadienne très populaire outre-Atlantique (avec Gilles Vigneault, Félix Leclerc, Robert Charlebois, Daniel Lavoie…), le Québec est devenu, depuis les années 1990, un grand creuset international de pop-music entraînante grâce à des figures comme Céline Dion, Lara Fabian, Natasha St Pier. Dans le tourbillon de créativité musicale qui agite la Belle Province, le protestantisme n’est pas resté à l’écart. A la surprise de beaucoup, il est même devenu depuis la fin du XXe siècle un des grands creusets de création d’expression chrétienne.
Quand le groupe québécois Impact ouvre les Angels Music Awards
Cette nouvelle expertise québécoise protestante en matière de musique s’est affichée avec éclat à Paris, le 17 octobre 2015, l’occasion de la première édition française des Angels Music Awards, célébration visant à magnifier et primer les meilleures créations musicales dans la sphère chrétienne (de toutes confessions). C’est en effet à un groupe évangélique québécois francophone, IMPACT, qu’il est revenu l’honneur d’ouvrir l’événement, salle Wagram, devant les caméras de la chaîne KTO qui diffusaient en direct l’événement. Le chant choisi ? Sola Gratia, qui reprend un des fondements de la Réforme protestante, le salut par la grâce seule. « C’est par ta grâce / Ta grâce seule / Que je suis pardonné / C’est par ta grâce / Ta grâce seule / Que tu m’as racheté »
Ce groupe québécois, conduit par le pasteur et chanteur Sébastien Corn, interpréta un autre chant lors de la soirée, tourné vers la louange et l’adoration, devant un public conquis. Il entama ensuite une tournée française et européenne devant des foules multiculturelles reliées par trois traits d’union : la francophonie, le goût pour la « nouvelle louange », et un intérêt pour le christianisme. Issu de l’Église pentecôtiste Nouvelle Vie de Longueuil (Montréal), ce groupe du XXIe siècle n’a sorti que deux albums, mais s’est déjà acquis une notoriété bien au-delà des petits cercles évangéliques francophones du Canada et d’Europe de l’Ouest. Qui l’aurait imaginé il y a trente ans ? En l’espace d’une génération, le protestantisme francophone québécois « réveillé » est devenu un pôle de référence en matière de musique chrétienne.
Des Gospels à l’accent québécois
Ce rôle moteur se retrouve en partie dans les recompositions contemporaines du genre Gospel. D’une grande plasticité, né aux Etats-Unis dans le contexte anglophone de l’émancipation des noirs (combat abolitionniste, puis combat des droits civiques), le Gospel se singularise peu par la spécificité de sa musique, même si celle-ci comporte quelques invariants (dont l’objectif d’être ‘chantable’ dans une église, souvent avec l’appui d’une chorale). En revanche, il se repère à coup sûr par ses thèmes fédérateurs : libération, espérance, salut. Réinterprété, et parfois réinventé dans l’aire francophone entre Afrique, Europe et Amérique du Nord, le Gospel a aujourd’hui trouvé, au Québec, une de ses terres d’élection.
C’est dans la Belle Province que Maggie Blanchard, qui y émigre à l’adolescence depuis Haïti, commence son oeuvre d’interprète gospel avec son premier album, Libéré (1999). Dès l’âge de 15 ans, sa cadette, la Québécoise Tabitha Lemaire, conduit ses premières chorales Gospel, avant de lancer sa carrière solo en 2001. Quant à Stéphane Quéry, né en 1958 à Laval, dans la province de Québec, il s’est fait connaître dès 1992 comme un chanteur évangélique francophone axé sur la louange et l’adoration, sous le sceau de la « nouvelle naissance », cette conversion qui fait le cœur de l’expérience protestante évangélique. On retrouve cet accent par exemple chez Luc Dumont, natif de Montréal en 1969, auteur d’une dizaine d’albums de musique de louange. Issu de la matrice de l’église Nouvelle Vie, il a fondé Eaux Vives Musique au Québec.
Entre traditions protestantes réinventées et louange XXIe siècle
L’un des traits les plus frappants de ce nouveau creuset de musique protestante francophone pour le XXIe siècle est le lien effectué entre tradition et nouveauté. Les musiciens et interprètes québécois ne pratiquent pas la politique de la table rase. L’héritage protestant est valorisé, au point que l’un des groupes francophones les plus en vue aujourd’hui, conduit par le Québécois Sébastian Demrey (dont l’ancien nom est Desmarais), s’appelle précisément HERITAGE. Leur objectif ? « Offrir quelques uns des plus beaux cantiques et hymnes des derniers siècles », ressortant parfois d’un certain oubli (chez les moins de vingt ans) des joyaux de la tradition hymnologique protestante, cachés dans les recoins des vieux recueils des « Ailes de la foi ». Abandonne tes fardeaux, Quel ami fidèle et tendre, Mon Dieu plus près de toi, J’ai soif de ta présence, A toi la gloire ou Grâce infinie, les titres revisités et honorés ne manquent pas. Ils renforcent une « chaîne de mémoire »[1] entre les générations sous le signe de la musique chorale, qui marque profondément l’identité protestante depuis les premiers pas de la Réforme au XVIe siècle.
Ce groupe est aujourd’hui populaire dans la francophonie de l’hémisphère Nord, bien au-delà des cercles protestants. Le groupe s’est par exemple produit dans la cathédrale catholique Notre Dame d’Amiens (France, Somme), le 12 décembre 2015. Il poursuit en 2016 un Acoustic Tour qui le conduit de Cannes (France) à Liège (Belgique) en passant par le Luxembourg via Paris. À l’image des acteurs du nouveau creuset musical chrétien québécois (majoritairement issu de la matrice protestante), il participe de la « transnationalisation du religieux par la musique », thème d’un colloque organisé par la Faculté de Musique de Montréal[2], rappelant aux oreilles du XXIe siècle que le protestantisme québécois est décidément sorti du placard, pour vibrer à l’unisson des francophonies.
[1] Danièle Hervieu Léger, La religion pour mémoire, Paris, Le Cerf, 1993.
[2] Colloque international « La transnationalisation du religieux par la musique », coordonné par Nathalie Fernando et Hugo Ferran, Faculté de Musique, Université de Montréal, 16-18 octobre 2014.