Pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Fernande Traore, j’habite Ougadougou, je suis sociologue de formation, et j’ai travaillé une dizaine d’années dans la recherche agricole, en lien avec l’agronomie. Je travaillais sur les systèmes agricoles dans le nord du pays, puis j’ai exercé dans l’ONG CESAO, Centre d’Etude Economique et Sociale pour l’Afrique de l’Ouest. Par la suite, nous avons mis en place une structure centre d’accueil et de conseil, où nous faisons de la relation d’aide auprès des jeunes filles en difficulté, pour les encourager à poursuivre leur formation. J’ai ressenti cela comme un appel de Dieu. J’ai un coeur pour ça. Mon petit nom, c’est « mama », car on reconnaît en moi un coeur de mère qui accueille les personnes en souffrance pour les écouter et les aider à surmonter leurs difficultés.
Comment s’est construite votre identité chrétienne ?
Mon père était musulman, ma mère était catholique. Ils n’étaient pas pratiquants. Chacun, plus tard, a découvert le Seigneur par grâce. Le chemin de mon école passait par la mission catholique. J’aimais regarder les soeurs catholiques, avec leur robe blanche, leur foulard. Je me disais, « ah, ces soeurs, j’aimerais leur ressembler ». Un jour j’ai pris l’initiative d’aller voir le prêtre pour aller faire le catéchisme. C’était une initiative personnelle. J’ai alors commencé à servir à l’église catholique. J’étais membre d’un groupe charismatique intitulé « La femme vivante ». J’emmenais de l’eau au prêtre pour qu’il se lave les mains, on me demandait de lire la Bible, St Pierre, St Mathieu… J’étais une catholique pratiquante, et dès lors j’ai commencé à chercher à connaître davantage le Seigneur.
En 1990, j’étais à Ouahigouya (Nord du Burkina Faso), lorsqu’une amie évangélique m’a parlé du Seigneur. Elle me dit : « Je te vois bien aimer le Seigneur, mais nous avons une autre façon, viens donc voir ». J’étais un peu réticente. Je lui disais : « j’ai côtoyé des groupes chrétiens évangéliques, je trouve qu’ils ont des positions déjà extrêmes. Je n’ai pas envie d’avoir affaire avec le monde évangélique ». Elle me répond : « Mais c’est parce que tu ne connais pas ». Nous avons eu des discussions très chaudes, surtout sur la vierge Marie. Un jour, elle me dit : « Ecoute, il y a un pasteur qui vient, veux-tu écouter ? » J’ai décidé d’accompagner. Le pasteur, de l’Église biblique Vie Profonde, a prêché sur Jean 3 : 16. Je n’avais jamais entendu prêcher de cette manière. Plusieurs dénominations s’étaient mises ensemble pour cette campagne d’évangélisation. J’ai été touchée. Quand on a demandé qui veut suivre ce Jésus qui a donné sa vie, j’y suis allée. Mon amie était étonnée. J’ai ensuite rejoint les Assemblées de Dieu (pentecôtiste). Au bout de cinq ans, j’ai reçu le baptême par immersion, quand j’ai compris, en vérifiant dans le dictionnaire, que « baptême » veut dire « immersion ». Je suis toujours pentecôtiste, au sein des Assemblées de Dieu (ADD), mais en restant ouverte aux autres dénominations. Je n’aime pas le repli sectaire. Les chrétiens sont faits pour se rencontrer. C’est ainsi que j’ai pu m’investir, au Burkina Faso, dans l’organisation de trois séminaires interconfessionnels.
Quel est selon vous le rôle des femmes dans les Églises du Burkina Faso ?
Je remarque que de plus en plus on implique les femmes, surtout dans le domaine diaconal. Le ministère prédication reste fermé, mais il y a des exceptions. Hortense Karambiri, épouse de Mamadou Karambiri, a par exemple le titre plein de pasteur dans l’Église charismatique CIE, à Ouagadougou. Et elle enseigne. Moi qui suis une femme, on me demande de prêcher à l’église, même au niveau des Assemblées de Dieu du Burkina. C’est une autre exception. Il y a longtemps, j’étais encore dans l’Église catholique, on m’a dit que j’étais une Déborah. C’était une parole de connaissance. Je suis d’accord avec la priorité donnée aux hommes pour le pastorat, mais Dieu fait une place aux femmes et Il fait des exceptions. Il y a de la place pour les Déborah.
Comment voyez-vous la collaboration entre Églises au Burkina aujourd’hui ?
Notre rôle est d’annoncer l’Évangile intégral, holistique. Nous n’avons pas besoin de querelles pour cela. Les choses évoluent. Il n’y a presque pas de protestants luthériens ou réformés ici. Il y a les évangéliques d’un côté, les catholiques de l’autre, et puis les musulmans. La FEME, qui rassemble les Églises évangéliques, a développé beaucoup d’efforts communs, interdénominationnels. Du côté des relations avec les catholiques, c’est plus timide. Mais cela commence doucement. J’étais dernièrement à Bobo Dioulasso (3e ville du Burkina, ndlr), pour la dédicace du Nouveau Testament traduit dans une langue locale.
L’Eglise catholique avec sa chorale était là aussi ! L’Alliance Biblique, qui organisait l’événement, est parvenue à rassembler catholiques et évangéliques. J’apprécie cela. Mon thème de dissertation lors des études que j’ai faites à l’Institut Biblique de Nogent, c’est l’unité des chrétiens selon Ephésiens 4.
Quel regard portez-vous sur la francophonie, sur la France ?
En France, on n’ose pas tellement. On est pris par le raisonnement, on ne se laisse pas aller dans la liberté de l’Esprit. On prend trop en compte la culture ambiante, et les chrétiens ont du mal à exprimer leur liberté évangélique. Ici c’est différent. On peut facilement exprimer sa foi comme un enfant, sans retenue. Je crois que nous pouvons aider la France dans ce sens. En venant en France depuis le Burkina, nous savons parler de notre foi facilement, avec simplicité. On n’est pas gênés. On peut le faire ! On peut aider les Français à se désinhiber. L’Esprit est vivant, ne peut-il pas nous conduire ? Il faut apprendre à se laisser conduire, et éviter de tout contrôler, de trop raisonner.
D’un autre côté, on peut trouver de très bons enseignements en France, et j’en ai bénéficié dans les mes études à l’Institut Biblique de Nogent (IBN). Les chrétiens « nés de nouveau », en Europe, sont convertis en profondeur. Ici il y a souvent une certaine fragilité, avec un manque d’enseignement solide. En Europe, les convertis sont solides et nous avons beaucoup à recevoir de leur enseignement. La francophonie, c’est une invitation à partager. Je rêve d’un événement annuel comme le CEIA (Centre Evangélique d’Information et d’Action) au Burkina. Un lieu où toutes sortes d’Églises, d’organisations, de missions, d’éditeurs se retrouvent. La France, avec son expérience, pourrait nous y aider.