Entre revivalisme protestant et francophonie, c’est une longue histoire. Un récent colloque international tenu à Montpellier (du 1er au 3 juin 2023) nous permet d’en savoir plus sur les recherches actuelles. Remercions les organisateurs, en particulier Pierre-Yves Kirschleger (historien, Université Paul Valéry Montpellier III), Jean-Louis Prunier (président de la société d’étude du méthodisme français), David Bundy (MCWRC), ainsi que Gilles Vidal et Jean-François Zorn (IPT), d’avoir eu l’audace de monter ce projet !
Intitulé « Les mouvements protestants de Réveil dans le monde francophone », il s’est déployé sur quatre demi-journées à la fois stimulantes et conviviales. Il a bénéficié pour cela de l’accueil accordé par le doyen Gilles Vidal à l’Institut Protestant de Théologie (IPT) de Montpellier, le campus de l’Université Paul Valéry n’étant pas disponible en raison de blocages et dégradations perpétrés par des agitateurs. Alternant entre salle des conférences et bibliothèque, non loin des allées ombragées d’un parc magnifique, les interventions ont pu se succéder, tantôt en présentiel, tantôt en distantiel (visioconférence), dans un climat chaleureux éclairé par de nombreux échanges et discussions. Saluons la volonté affichée par les organisateurs de sortir du confort d’un cadre franco-français réducteur. Des collègues venus d’autres horizons européens (Royaume-Uni, Suisse, Suède), africains (Bénin, Congo RDC, Madagascar) et même américains (Etats-Unis) ont apporté un grand bol d’air frais aux réflexions communes.
Quatre demi-journées de réflexion
L’argumentaire du colloque a posé le cadre : « Nés à la charnière des XVIIIe et XIXe siècle, du sein des protestantismes historiques d’Europe, les mouvements de réveil religieux (Revival, Awakening, Erweckung), sont une réponse, pas nécessairement une opposition, au siècle des Lumières qui avait promu le règne de la raison humaine face à celui de la révélation divine. Ces mouvements, prétendant opérer une « seconde Réforme », ont voulu redonner vigueur à la lecture de la Bible devenue rare dans un pays comme la France, et faire place à l’émotion et à l’expérience religieuse pour entrer dans l’espace de la foi ».
Sur ces bases, la première après-midi du colloque s’est ouverte avec une mise en perspective historique à partir de la Conférence de Berlin signée David Bundy.
Cet exposé très riche a été suivi par un regard renouvelé sur le Réveil de Genève (Jean Decorvet), une plongée dans l’histoire de l’Église méthodiste libre en Afrique francophone (William Kostlevy) et un retour sur le Dictionnaire biographique des chrétiens d’Afrique (Michèle Sigg).
Alexandre Antoine a entamé la séance du vendredi matin avec un regard sur l’implantation du pentecôtisme en Afrique francophone, suivi de trois enquêtes fouillées sur l’Afrique centrale (Gunilla Nyberg Oskarsson, Dave Emmett et Benoît Amina Lwikitcha). De 14h à 17h, ce fut au tour de Mwamba Kanonge Dichk (pentecôtisme au Katanga), Jean-François Zorn (réveil pentecôtisant au Gabon) et Théophile Kadima Mulanda (unité et diversité du protestantisme en RDC) de nourrir les réflexions communes.
Après une conférence publique invitant à réfléchir à la modernité du revivalisme, le colloque s’est poursuivi et parachevé le samedi matin avec une fascinante reconstitution, par Jean-Louis Prunier, des tentatives d’évangélisation du méthodisme wesleyen en Kabylie algérienne, suivie par deux contributions très complémentaires consacrées au Réveil malgache, ce mouvement Fifohazana porté par et pour les Malgaches (Olivia Legrip-Randriambelo et Dominique Ranaivoson). Segbégnon M. Gnonhossou a fermé le ban avec une mise en perspective de l’histoire du réveil protestant au Bénin.
Pistes à poursuivre
On ne saurait ici rendre toute la richesse des interventions proposées. Une publication, très attendue, permettra de se plonger dans les travaux présentés. On retiendra cependant quatre fils directeurs.
Le premier, c’est le découplage entre revivalisme et colonisation. Depuis le XIXe siècle, la Société des Missions de Paris, étudiée par Jean-François Zorn, fut une œuvre de réveil largement indépendante des intentions coloniales. De même, le revivalisme postcolonial a non seulement maintenu, mais même intensifié la présence protestante dans la francophonie. Le revivalisme protestant en francophonie ne saurait être réduit à un effet de la colonisation. Il a précédé le moment colonial, et s’est maintenu (même intensifié) après les décolonisations.
Le second fil directeur, c’est la créativité manifestée au sein de la plupart des mouvements de réveil étudiés, avec non seulement la création de nouvelles assemblées, mais aussi des pratiques innovantes ou des ministères inédits, comme celui de Berger, très populaire au sein du revivalisme malgache.
Le troisième, c’est l’importance des circulations francophones, portées par le partage d’une langue mais aussi de nombreuses sociétés et réseaux déployés non pas dans une logique nationale, mais transnationale.
Enfin, la question s’est posée aussi de l’interprétation à donner au revivalisme comme « fait social total », au regard des enjeux de modernisation et de démocratisation des sociétés francophones contemporaines. Le revivalisme fonctionne-t-il toujours comme un levain modernisateur et/ou prophétique, ou s’inscrit-il parfois (en particulier lorsqu’il devient phénomène de masse) dans une posture néo-conformiste, vulnérable aux récupérations populistes et complotistes ? Autant de questions à poursuivre, qui témoignent de la fécondité scientifique des terrains abordés lors de ce beau colloque montpelliérain.