Selon le sondage publié le 13 février dernier par le Centre de Recherches Politiques de Sciences Po (CEVIPOF), 68 % de Français considèrent que la démocratie ne fonctionne pas bien chez nous. Bien sûr, on peut toujours balayer ce type d’information, la considérer comme le fruit d’une propagande insidieuse, ou simplement déplorer que les gens soient idiots. Il ne faut rien exclure, mais reconnaître aussi que l’entêtement, la surdité, l’aveuglement, ne règleront jamais rien.
Soucieux de résoudre la crise de confiance qui traverse notre pays, Gilles Mentré suggère d’articuler la démocratie directe et la démocratie représentative. Pour Regards protestants, cet énarque atypique et polytechnicien non conformiste présente les idées qu’il déploie dans son nouveau livre « Les deux pouvoirs » (Gallimard, collection Le débat, 145 p. 17 €).
« Notre démocratie est en danger pour deux raisons, nous déclare-t-il en préambule. La première tient au fait que l’accélération des rythmes de l’Histoire fait perdre une partie de leur légitimité aux responsables politiques : les citoyens élisent une personne qui doit agir pour cinq ans, mais à chaque fois l’imprévu s’invite, qui donne aux électeurs le sentiment qu’ils sont privés de toute influence sur le cours des choses. »
Une démocratie représentative inefficace ?
On sait bien que les candidats n’appliquent jamais la totalité de leur programme ; il n’en demeure pas moins que lorsque la crise des Subprimes, les attentats terroristes et la pandémie de Covid empêchent Nicolas Sarkozy, François Hollande, Emmanuel Macron de mettre en œuvre la politique pour laquelle ils ont été élus, le sentiment s’installe que les promesses ne sont jamais tenues. Dans un tel contexte, solliciter le point de vue des citoyens de façon plus régulière ne serait pas scandaleux.
« Le deuxième reproche formulé contre la démocratie représentative est celui de l’inefficacité, note Gilles Mentré. Du fait du poids de l’endettement public, de la mondialisation, mais aussi du fait de l’abstention, pis, de la désaffiliation partisane – une majorité de citoyens ne se reconnaissant plus dans des partis politiques – on constate que les dirigeants semblent de plus en plus dépendants soit de militants minoritaires soit de groupes d’intérêt. Dans tous les cas, les responsables politiques ne paraissent plus capables de travailler en faveur de l’intérêt général. »
Voilà pourquoi notre interlocuteur préconise le recours à la démocratie directe. Non pas en remplacement, mais en complément du système représentatif. On ne saurait imaginer que la France (ou quelconque autre pays) puisse être gouvernée par des sollicitations permanentes sur tous les sujets qui s’imposent. Non. L’idée de Gilles Mentré consiste à demander leur avis aux citoyens sur des questions concrètes. Pour être, à leur tour, efficaces, de tels mécanismes devraient se traduire par des débats publics assez précis. Les Conventions citoyennes en ont donné l’idée, à condition d’en faire des lieux d’information et non de décision… Mais encore faudrait-il éviter le manichéisme que le système référendaire induit.
Favoriser la démocratie directe sur des questions concrètes
« Pour cela, je propose que la question comporte un choix multiple, explique Gilles Mentré. Répondre par oui ou par non semble totalement dépassé au XXIème siècle. Pour prendre l’exemple de la réforme des retraites, il est évident qu’en demandant aux gens : « voulez-vous travailler deux ans de plus ? », on est certain de connaître, à l’avance, la réponse des électeurs. En revanche, si l’on présente les quatre solutions possibles pour rendre le système des retraites juste et rentable, et qu’on demande aux citoyens de les classer par ordre de préférence, on se donne les moyens de recevoir une réponse plus fine. »
Chacun connaît l’attachement des protestants à la démocratie représentative, leur hostilité vis-à-vis de tout ce qui s’apparente à un renversement des institutions par des mouvements révolutionnaires. Mais la Suisse, comme Pascal Ory n’a pas manqué de nous le rappeler voici quelques mois, pratique le référendum sans remettre en cause la légitimité de ses institutions. « Les Pays-Bas – nation de culture ô combien protestante – avaient mis en place un système de référendum-veto, autorisant les électeurs à abroger une loi votée par le Parlement, nous fait observer Gilles Mentré. La disparition de ce dispositif n’a fait qu’accroître la colère des électeurs et, suivant certains élus, provoqué là-bas la victoire de l’extrême-droite. Un consensus est en train d’émerger pour le rétablir, en le limitant à quelques sujets. »
Certes, en France, nous connaissons le coût du plébiscite : aussitôt cette porte ouverte, un individu se présente en sauveur, détruit les libertés – à commencer par celle de s’exprimer – puis s’impose en dictateur.
Il est vrai tout autant que le populisme, aux Etats-Unis comme en Europe, est actuellement porté par l’idée que le peuple seul est capable de savoir ce qui est bon pour lui.
Beaucoup redoutent, enfin, que la démocratie directe ne fasse le jeu du Rassemblement national, excipant le souvenir des victoires électorales des nazis pour empêcher toute évolution. Soulignant que l’état de la France aujourd’hui n’a rien à voir avec celui de l’Allemagne des années trente, Gilles Mentré nous rappelle que le vote est le meilleur moyen de lutter contre les idéologies extrémistes parce qu’il responsabilise les citoyens. Plutôt que de ne rien changer par peur de voir le loup pénétrer dans notre bergerie, ne faut-il pas faire preuve d’audace ? Le débat reste ouvert. Autrement, pour filer la métaphore animale, on sait que la stratégie du lapin pris dans les phares est accessible à tous…