Les annonces faites par Emmanuel Macron, au début de la semaine dernière, ont le grand mérite d’exister. Mais, de nombreux observateurs l’ont dit (et pas seulement des écologistes radicaux) : dans l’hypothèse même ou ce plan se réaliserait, on resterait en retrait par rapport aux objectifs nécessaires de diminution de notre empreinte carbone.
Je ne suis pas surpris par la voie suivie par Emmanuel Macron, qui correspond à sa vision du monde : incitations économiques et investissements publics, point final. C’est, à vrai dire, à quoi s’est résumé l’essentiel de la politique depuis 1945. S’il fallait imaginer autre chose, il faudrait quitter des habitudes vieilles de 80 ans. Or ces habitudes ont fait la preuve de leurs potentialités indéniables, mais aussi de leurs limites, tout aussi indéniables.
Les différents think tanks qui essayent de trouver une voie pour sortir de l’étau dans lequel nous nous trouvons sont en gros d’accord. Il faut jouer sur trois ressorts :
- l’innovation technique pour faire la même chose en consommant moins d’énergie ; cela le plan devrait y contribuer, même s’il ne suffit pas d’injecter de l’argent pour que, par exemple, le secteur du bâtiment génère les compétences nécessaires et en nombre suffisant pour isoler les bâtiments.
- Utiliser davantage d’énergies renouvelables : cela aussi, le plan devrait y contribuer
- Et la question qui fâche : la sobriété ; là le plan est muet.
Le plan est muet aussi sur des secteurs qui devraient engager des mues structurelles très fortes et qui ne peuvent pas se résumer à des questions financières, comme l’agriculture.
En résumé, il n’est question de négociation nulle part.
Or le bilan que l’on peut faire des politiques qui ne jouent que sur les incitations est que, pour ce qui concerne les enjeux climatiques, elles produisent un changement beaucoup trop lent. Même si on accentue la démarche (ce que ce plan se propose de faire) on restera loin des objectifs nécessaires.
Une commercialisation de la politique qui la rend impuissante
Emmanuel Macron s’est, certes, heurté au mouvement des gilets jaunes, ce qui lui ôte l’envie de proposer des mesures contraignantes. Mais on a vu aussi, à l’occasion de la réforme des retraites, à quel point cette équipe était incapable de mener une négociation et d’obtenir des concessions mutuelles entre des personnes ayant des intérêts divergents.
Le ver dans le fruit est que les politiques relèvent de plus en plus du registre de la séduction et de moins en moins de la négociation. Il faut susciter le désir, donner envie et faire rêver. Les services de communication ont pris le pouvoir non seulement pendant les campagnes électorales, mais également par la suite et, en fait de communication, cela s’appuie de plus en plus sur le savoir-faire du secteur de la publicité.
La rhétorique du « en même temps », qui a ponctué la campagne électorale d’Emmanuel Macron en 2017, montrait, à l’évidence, un homme qui avait peur de déplaire. Il n’est pas le seul dans ce cas !
Mais là nous buttons collectivement sur quelque chose de plus fort : il va falloir limiter nos désirs. Et les premiers qui devraient limiter leurs désirs sont les plus riches (j’en fait partie) qui ont pris l’habitude de demander aux autres des sacrifices.
Et de toute façon il faudra bien renoncer …
Or, peu importe l’opinion que chacun peut avoir aujourd’hui, il faudra renoncer, et peut-être même à beaucoup de choses. Et si cela ne se fait pas par la négociation, cela se fera de la manière habituelle : par un renchérissement des biens les plus rares qui se concentreront entre quelques mains, et par une accentuation des conflits armés pour s’octroyer les mêmes biens.
Le rêve technico-économique porté par la classe sociale actuellement au pouvoir, dans la plupart des pays d’Europe, est une fuite en avant dangereuse.
Encore une fois, je préfère le plan Macron aux délires climato-sceptiques portés par d’autres forces politiques. Mais on voit à quel point le logiciel politique actuellement dominant nous paralyse tous.
Difficile de ne pas penser aux sombres déclarations de l’Apocalypse (qui, en l’occurrence, s’adressent à des collectifs et pas à des individus) : « Le fruit que désirait ton âme s’en est allé loin de toi » (Ap 18.14). Il faut se souvenir, à ce propos, que le récit du chapitre 18 de l’Apocalypse est, largement, une reprise de la prophétie d’Ézéchiel 27 contre la cité état de Tyr. A l’époque, les lecteurs ont pensé à la gloire fragile de Rome. L’histoire bégaye.