Le journaliste a mauvaise presse. Balzac, en inventant Lousteau, figure du corrompu rieur, en quelques heures capables d’écrire n’importe quoi sur n’importe qui, l’a fait naître en majesté. Guillaume Apollinaire, comme tant d’autres, en a prolongé l’archétype. Il fait dire à son échotier, dans « Les mamelles de Tirésias » : « On apprend de Montrouge, que monsieur Picasso fait un tableau qui bouge ainsi que ce berceau. » N’importe quoi de nouveau. Faut-il désespérer de cette engeance ?
La bravoure du reporter de guerre
On rappellera d’abord qu’il existe au sein de cette profession des gens courageux. Le brave gars qui monte dans une barge en direction des plages de Normandie, le 6 juin 1944, armé d’un appareil photo, n’est pas le prototype du rigolo. Le jeune reporter Jean-Claude Guillebaud, naguère, s’en est allé sur le théâtre des opérations militaires ; il en a vomi, traversant des tragédies, des horreurs, éprouvant qu’Erasme – après Pindare – avait raison : la guerre est douce pour ceux qui ne l’ont pas faite.
Ces dernières années, Mémonna Hinterman, Florence Aubenas, Maryse Burgot, démontrent – si cela s’avérait encore nécessaire – que les hommes n’ont pas l’apanage de la bravoure. Alors, avant de dire du mal des autres, les piliers du café du commerce feraient mieux de retourner sept fois leur langue dans leur bouche avinée.
L’importance du localier
Certes, la passion n’est pas toujours au rendez-vous des journalistes. Le grand vent de l’histoire ne souffle pas sur la tête d’un localier. « Journée calme, un peu morne, écrit Denis Tillinac dans « Spleen en Corrèze » (La Table Ronde, 160 p. 6 €). J’ai accompli ce matin le circuit habituel : mairie pour l’état civil, pompes funèbres pour les convois, pompiers pour les incendies éventuels, Parquet pour le rôle de la prochaine audience. » Un vin d’honneur ou l’inauguration d’un magasin ne laisse pas au rédacteur la possibilité de se prendre pour Joseph Kessel. On n’oubliera pourtant pas que l’auteur du « Lion », un jour que Lazareff manquait de pigiste, partit rédiger pour France-Soir un article de fait-divers. Une fois encore, il faut se méfier des idées reçues.
La curiosité au cœur du métier
Pour le reste, la profession s’apparente à quelque métier de cocagne. Avec un brin de civilité, de curiosité, de constance, on peut rencontrer mille personnes passionnantes, à la renommée grandiose ou pas du tout célèbres, aussi drôles qu’inattendues, qui vous dévoilent un peu de leur caractère. Après quoi vous avez la lourde charge – il faut ici prendre au second degré cette expression – de décrire à vos lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs, les traits que vous avez saisis. Soyons francs, il y a pire entreprise à mener.
Les journalistes aussi confrontent les points de vue, qu’ils piochent à loisirs, auprès d’experts qu’ils sollicitent, qui leur expliquent trente ans de recherche en trois minutes et demie, généreux spécialistes dont ensuite ils agencent les propos dans un texte qui se nomme un article.
Un tel métier réclame l’habileté d’un tisserand, l’exigence d’une sensibilité, l’inclination pour un effacement partiel de soi. Partiel seulement, parce que rien ne peut s’écrire sans que celle ou celui qui tient la plume ait un point de vue.
Mais ce point de vue ne doit pas donner le « la » d’un document. La phrase de Jean Renoir ici pourrait nous servir de devise : « Ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons. »
L’ego à dompter
Bien entendu, les journalistes ne sont pas des anges. Jean Lacouture a dit l’essentiel dans un très bel ouvrage, « Enquête sur l’auteur » (Points Seuil, 320 p. 8 euros) : « Ecrire à l’usage immédiat d’un grand nombre de personnes mises en émoi (donc en état de moindre résistance) par les ruses et les violences de l’actualité, par la magie du reportage ou de la mise en page, c’est souvent, par quelques biais, violer les consciences et braver les convictions, C’est souvent se mettre en faute – soit par excès de hâte, soit par abus de crédulité, pour distorsion, ou omission de quelques lambeaux de vérité. Inconscience, incompétence, outrecuidance, silences ? Notre enfer grouille de démons, innombrables et infatigables… » A cela s’ajoute le plaisir de se voir, se savoir, de s’espérer regardé. Nous suivons trop d’anciennes gloires courir les plateaux de télé pour nous nourrir d’illusions : le plaisir infini de narcisse guette les journalistes aussi bien qu’un fossé.
Faut-il pour autant jeter ce métier ? La grève qui secoue le Journal du Dimanche a sa vertu. Libre à chacun d’entre vous d’en déduire ce qu’il voudra. Sylvain Floirat, parton de Matra, président d’Europe 1, disait jadis : « Qui paye décide. »
On se gardera donc de parier sur l’issue du conflit. Mais la liberté d’écrire et de penser vaut quelque chose. Un jour, alors que l’auteur de ses lignes évoquait un épisode au cours duquel il avait été un peu lâche, Didier Sicard partit dans un éclat de rire amical et déclara : « Le courage, ce n’est pas au début qu’il faut en avoir, mais dans les cent derniers mètres. » Une leçon fraternelle offerte à tous.