La moutarde monte au nez de Loris Chavanette. Ceux qui le connaissent diront que ce n’est pas un scoop, tant il est vrai que cet historien n’a pas le tempérament d’un colin froid. Mais son dernier ouvrage « La tentation du désespoir » (Plon, 255 p. 20,90 €) claque à la façon d’un coup de colère, contre ce que son auteur considère comme de sinistres dérives – le wokisme, la cancel culture, la complaisance des journalistes, le nihilisme et la manipulation politique. Il est évidemment partial. On a le droit de le critiquer, mais on ne peut contester qu’il soit dynamique. En diable !
« J’ai conçu ce livre parce que je suis très inquiet du triomphe de la culture de l’immédiateté, de la perte de hauteur du débat public, nous déclare en préambule Loris Chavanette. A longueur d’émissions, sur les chaînes d’information continue, les journalistes et leurs interlocuteurs versent dans l’émotion. Je ne suis évidemment pas contre l’expression de l’émotion, mais j’en conteste l’utilisation quand il s’agit d’analyser l’histoire et surtout de se projeter dans le débat public. »
Défendre le pluralisme
Au fond, nous pourrions avoir le sentiment d’avoir affaire à un libéral. Hostile à ceux qui cherchent à capter les grandes figures du passé – Robespierre et Napoléon n’ont-ils pas le droit de reposer en paix ? – Loris Chavanette inscrit ses réflexions dans le droit fil de Tocqueville et Raymond Aron. « Je crois au pluralisme et déteste tout ce qui est monomaniaque dans le domaine politique, explique-t-il. En cela, oui, je suis libéral. Mais j’ajoute aussitôt que, dans le domaine économique, il est important que le libéralisme soit tempéré, qu’il rencontre des limites, grâce à l’intervention de l’Etat, faute de quoi l’appât du gain, les tempêtes financière mondiales pervertissent la belle idée, les principes généreux qu’il défend. »
Critique avec autant d’énergie d’Eric Zemmour et de Jean-Luc Mélenchon, Loris Chavanette apparaît comme un partisan farouche du compromis, l’ardent défenseur de l’Etat de droit – l’un des chapitres de son livre illustre bien sa position sur ce point. On ne peut que l’approuver. Mais on peut aussi se demander si notre pays, dont la culture de la réforme a toujours été fragile, peut accomplir pareille mutation – nous allions écrire, ô paradoxe, pareille révolution.
« Nous pensons depuis 1789 que le volontarisme politique est capable d’inverser le cours de l’histoire, de modeler le réel à nos idéaux, répond-il. En tant que croyance, c’est une belle idée, qui, la plupart du temps, nourrit le progrès. Le seul problème est que cette prophétie ne peut s’accomplir que dans le temps long de la démocratie représentative et non dans le temps court des bouleversements spectaculaires. »
Redonner des raisons de croire en la politique
Le calendrier politique de l’année 2024 apparaît aux yeux de beaucoup comme chargé de nuages, les sondages d’opinion plaçant le candidat du Rassemblement national très loin devant ses concurrents. Les uns se résignent, les autres se réjouissent, les autres encore dansent au dessus du volcan.
Alors que la guerre s’invite à nouveau sur notre continent, Loris Chavanette nous rappelle que la paix peut et doit encore guider notre conduite. Pas une paix de complaisance, mais une paix forgée par l’exigence et la résolution.
« Je voudrais redonner des raisons de croire en la politique à ceux qui s’abstiennent, à ceux que les réglementations de toutes sortes écœurent, à ceux qui, comme en symétrie, croient tellement en la politique qu’ils en font la source des plus grands dangers. »
Et notre interlocuteur de citer Pierre Manent, philosophe du politique, pour qui bien aimer la démocratie suppose de l’aimer modérément : « L’esprit de nuance est aujourd’hui la véritable pensée de rupture avec le commun de nos politiques habités de colère, sortes de « nouveaux enchanteurs » comme les moquait Nietzsche. »
La tendance actuelle au populisme reflète une peur collective. On ne saurait y répondre par la seule imprécation, par des condamnations de principes et de grands mots. L’Histoire peut être une ressource utile, à condition de lui donner pour fonction de rassembler.
De nouveau Loris Chavanette se fait l’avocat de la confrontation pacifique des idées plutôt que de l’affrontement violent des personnes : « Souvenons-nous de Robert Badinter qui, pendant que se déployait le mouvement des Gilets jaunes, alors que des manifestants promenaient la tête du président Macron au bout d’une pique, avait eu l’une de ses colères homériques dont il avait le secret, dénonçant la réplique sinistre de violences du passé, lors même que nous vivons dans une société de liberté. Nous devons impérativement défendre l’Etat de droit à l’heure où il est lapidé, partager notre histoire commune plutôt que laisser l’ignorance et le relativisme de l’emporter. »
En dédiant son livre de cette manière : « A la jeunesse iranienne, qui lutte, elle, contre une véritable dictature, au nom d’un véritable idéal de liberté », Loris Chavanette invite nos concitoyens à la lucidité.