Je ne suis toujours pas remis de la séquence folle qui a suivi la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron et de la tension dans laquelle j’ai vécu (et je n’étais pas le seul, loin de là), ensuite, pendant un mois, en envisageant l’arrivée au pouvoir du Rassemblement National. Cela m’a considérablement secoué et, ce, d’autant plus que les réactions des Églises ont, pour certaines d’entre elles, été plutôt discrètes. J’ai inévitablement repensé à la passivité des Églises lors de la montée des gouvernements autoritaires pendant l’entre-deux-guerres. Et je me suis interrogé sur les racines de ce qui a été, dans nombre de cas, une véritable collusion entre les Églises et les mouvements autoritaires, notamment en Espagne, au Portugal, en Serbie, en Pologne, en Roumanie, en Hongrie, en Autriche et, comble du comble, en Allemagne.

La « morale chrétienne » a bon dos

En parcourant des ouvrages d’histoire, j’ai vu qu’un premier lieu de rapprochement était la revendication d’un retour à l’ordre, d’une restauration de ce qui était interprété comme la « morale chrétienne », face à une évolution sociétale qui échappait à l’emprise des Églises. Et puisque le peuple, de lui-même, ne marche pas droit, il faut le faire rentrer dans l’ordre par la force.

Je peux, à la limite, comprendre ce positionnement et je pense que c’est une des raisons pour lesquelles certains chrétiens votent pour les partis d’extrême droite aujourd’hui : ils veulent un retour à l’ordre, moins de liberté des mœurs et moins de confusion dans les diverses convictions. Cela dit, pendant l’entre-deux-guerres, ces gouvernements musclés ont surtout servi au maintien des privilèges des propriétaires terriens contre les paysans, des industriels contre les ouvriers, des hommes contre les femmes, des riches contre les pauvres, etc. On masque un maintien des inégalités, une répression des contestataires sous couvert d’ordre et de morale. Et on appelle « morale chrétienne », par exemple, une morale familialiste, alors même que Jésus, dans les évangiles, met en garde contre la trop grande importance des liens familiaux.

Mais pourquoi le nationalisme a-t-il eu (et a-t-il encore) tant de succès parmi les chrétiens ?

Mais le deuxième motif de rapprochement (toujours très actif aujourd’hui) est, pour moi, pratiquement incompréhensible : tous ces gouvernements autoritaires étaient massivement nationalistes. Le découpage des frontières, suite à la guerre de 14-18, générait de nombreuses revendications territoriales, chaque état considérant que ses voisins avaient une partie de leur sanctuaire national. Et, sans aucun recul, chaque pays s’imaginait, et s’imagine encore souvent, qu’il a un génie particulier, une place dans le destin providentiel : il faut sauvegarder l’identité nationale contre toutes les diversités qui pourraient la menacer. Que certains pensent cela, je le sais. Mais que l’on puisse mêler Dieu à de telles simagrées criminelles dépasse mon entendement.

S’il y a bien un message qui traverse le Nouveau Testament tout entier, c’est celui d’un dépassement des appartenances nationales dans l’Église. Et même à l’époque prophétique quand les liens entre la terre promise et la foi sont plus étroits, les prophètes mettent en garde contre une valorisation excessive du territoire au détriment du cœur de la foi.

Lisons Jérémie, par exemple : « Ne vous confiez pas en des paroles trompeuses, en disant : C’est ici le temple de l’Éternel, Le temple de l’Éternel, Le temple de l’Éternel ! Si vraiment vous réformez vos voies et vos agissements, Si vraiment vous faites droit aux uns et aux autres, Si vous n’opprimez pas l’immigrant, l’orphelin et la veuve, Si vous ne répandez pas en ce lieu le sang innocent, Et si vous ne vous ralliez pas à d’autres dieux pour votre malheur, Alors je vous laisserai demeurer en ce lieu, Dans le pays que j’ai donné à vos pères, D’éternité en éternité » (Jr 7.4-7).

Il est difficile d’être plus clair : commençons par être attentifs aux faibles, plus qu’aux puissants et c’est cela qui donne le sens d’une vie collective riche, plus que la revendication d’un territoire.

Les Églises contre le nationalisme

Donc, au moins sur la question du nationalisme, les Églises doivent donner l’exemple et montrer que l’enfermement dans une prétendue identité nationale est une impasse.

Parmi les organisations chrétiennes qui ont été les plus en pointe pour s’opposer fermement à l’extrême droite, au mois de juin, on a retrouvé beaucoup plus d’associations diaconales que d’Églises (à l’exception de l’EPUDF). Elles voyaient bien ce qui leur arriverait si le Rassemblement National l’emportait. Ainsi, il semblerait bien que porter secours à l’immigrant, à l’orphelin et à la veuve, soit la meilleure voie d’entrée pour s’opposer aux rêves populistes d’un monde fermé et autoritariste.