Selon le ministère de l’Intérieur, à l’issue du premier tour des élections législatives, le Rassemblement national et ses quelques alliés se trouvent en tête, avec 33,15 % des voix ; le Nouveau Front Populaire obtient 27,99 %, la majorité présidentielle 20,04 %, les Républicains 10,23 %. Pour la première fois, l’extrême droite emporte une élection démocratique. Il reste encore un tour et nul ne peut prédire la victoire définitive du RN. Cependant, cette avancée, qui confirme le succès du scrutin européen, suscite des questions. Comment comprendre que des citoyens si attachés aux libertés fondamentales se laissent gagner par une telle formation politique ?

Lucien Jaume, philosophe de la politique, identifie plusieurs éléments pouvant expliquer la percée du Rassemblement national, au premier rang desquels le tempérament du président, l’usage qu’il fait de nos institutions, les problèmes de niveau de vie, l’effacement des services publics.

La percée du RN, le tempérament d’Emmanuel Macron…

« Parmi les talents du chef de l’Etat, il est plutôt un acteur qui adore le théâtre et surtout c’est un joueur, et non pas un homme muri dans la politique, estime Lucien Jaume. Il adore tenter des coups, séduire les gens, faire un pari sur ses capacités à convaincre et vaincre. Pur produit de nos grandes écoles, il incarne ce que l’on fait de mieux dans le genre, mais il pense que le métier politique lui est acquis. C’est une funeste erreur, car un vrai politique avant tout doit savoir être rusé, faire preuve de prudence et de patience, toutes choses qu’ Emmanuel Macron ne semble pas goûter. »

Le philosophe considère de surcroît que le président, comme ses deux prédécesseurs, a réduit la fonction de Premier ministre à la simple exécution d’une politique.

« Le quinquennat bien entendu joue son rôle dans cette affaire, alors que la constitution de la cinquième république avait été élaborée pour répartir l’action du long terme (attribuée au Président) et l’action au jour le jour devant la majorité parlementaire (le rôle du Premier ministre), dit-il. De ce fait, le Président est atteint aussitôt que le gouvernement rencontre un problème. »

La baisse du pouvoir d’achat, l’augmentation des inégalités

Pour notre interlocuteur, la confusion dans notre vie publique est, aggravée par la hausse des énergies, la réduction du pouvoir d’achat, la difficulté à vivre de façon satisfaisante alors que les inégalités ne cessent de se creuser. « Les déserts médicaux, l’effacement des services publics de base – tels que La Poste ­– donnent aux gens qui vivent hors des grandes villes le sentiment qu’ils sont abandonnés. » note encore Lucien Jaume.

Comme toues les analystes politiques l’ont souligné, la stratégie du « en même temps », si séduisante, a accrédité le sentiment que la seule alternative possible était située aux extrêmes. Or, Emmanuel Macron s’est surtout efforcé de briser la droite, assuré que la gauche ne parviendrait jamais à s’unir. C’est tout naturellement vers le Rassemblement national que les électeurs de toutes tendances, déçus par sa politique, se sont tournés. 

Et si rien n’était joué ?

Dans ce contexte, l’habileté de Marine Le Pen a consisté à s’adapter. Pas tout à fait semblable au boulangisme, pas tout à fait comparable au parti fasciste de Mussolini, pas non plus identique au modèle de Vichy, le parti dont elle est la présidente paraît inclassable. Et pourtant… « Le Rassemblement national est un peu analogue à une seiche, déclare Lucien Jaume pour donner une image. Cachée dans un nuage d’encre, c’est une formation étrange qui a su faire sa mue et rallier les mécontents de toutes les catégories sociales. » Une force en marche ? S’il parvenait au pouvoir, de nombreuses difficultés surgiraient devant le Rassemblement national : par le Conseil constitutionnel, par le Conseil d’Etat, par l’Europe etc. Rien n’est donc joué !